2. Contexte historique

Marrakech


 

La ville de Marrakech a été fondée en 1070 par une confédération de tribus nomades berbères habitant des territoires compris entre le Haut Atlas et le fleuve Sénégal, en donnant lieu à la dynastie Almoravide. Pour l’instant, les historiens pensent que c’était en 1040, dans l’oasis d’Azougui, dans la région mauritanienne de l’Adrar, que les tribus berbères Lemtouna, Guezoula et Sanhadja se sont réunies pour donner lieu au mouvement almoravide, mais il y a des pistes qui pourraient situer cette réunion plutôt sur les berges du fleuve Sénégal.

Avant la création de Marrakech, le chef-lieu de la région, situé au pied des montagnes et s’étendant sur la plaine du Haouz, était Aghmat (aujourd’hui à 30 km au sud de la ville de Marrakech). Puisque les contraintes géographiques ne permettaient pas l’extension de la ville actuelle et que dans tous les cas les ambitions d’une telle dynastie passaient par fonder sa propre capital, ils ont décidé de créer la ville de Marrakech, mais il fallait un terrain propice: « Nous t'avons choisi un lieu désert, où il n'y aucun être vivant à part des gazelles et des autruches, et où ne poussent que des jujubiers et des coloquintes » (Kitāb al-bayān al-mughrib fī ākhbār mulūk al-andalus wa'l-maghrib, Ibn Idhari, 1312). Ce lieu était limité par le fleuve Tensift et ses affluents, Ourika et Nfiss (avec un autre affluent à l’intérieur, Issil).

Or, Marrakech ne peut pas être réduit tout simplement à un espace urbain comme celui de la médina à l’intérieur des remparts mais plutôt à un espace agricole vaste et complexe lequel contiendrait, entre d’autres éléments, une ville. De ce point de vue, Marrakech était une oasis. Cependant, qu’est-ce qu’une oasis? Car on a tendance à associer la ville de Marrakech à des images du désert; oasis, palmiers, kasbahs, nomads... mais ces images ont été complètement banalisées pour vendre un produit touristique, une dérive qui est en train de transformer la ville en une caricature d'elle-même. Voici une explication rapide de ce qui est une oasis faites lors de l’atelier, OASE KASSEL, organisé avec LE 18 Marrakech lors de sa participation à documenta fifteen en août 2022.

 

On pourrait résumer qu'une oasis est un espace agricole organisé selon les resources hydriques (et sa distribution), la nature du terrain, son extension et sa topographie. Les terrains peuvent avoir plusieurs fonctionnalités. Le plus habituel est de trouver des parcelles de tailles petites et moyennes destinées au cultive de céréales entourés des arbres fruitiers et des grands arbres (généralement des palmiers mais aussi des acacias, des peupliers, des oliviers…). Ces trois éléments forment un ensemble, chacun ayant une fonctionnalité spécifique mais avec le même but, la protection contre le soleil (chaleur) et le vent (sable) pour assurer la nourriture des habitants (et de leur bétail), les matériaux de construction (poteaux, poutres, poutrelles, plafonds, etc.), les ustensiles ménagers, le linge de maison, etc.

Selon l’orographie, les ksour et kasbahs pouvaient se situer à l’intérieur ou bien sur le borde de cet espace dense agricole. En dehors de l’oasis, on trouve parfois de grandes étendues de terre qui ne sont cultivées qu'en cas d'inondation (cela peut arriver une fois tous les 5 ans), dans ces moments le blé cultivé est stocké et pouvait assurer la production de pain pour une famille pendant 5 ans (encore aujourd’hui on utilise ces terres de la même façon).

Extension dédiée à la culture du blé le long de la vallée de l'oued Noun entre les oasis de Fask et Tighmert (Guelmim, Maroc).

 

Par ailleurs, si l’oasis est un lieu de passage de caravanes, il doit y avoir un espace dédié à la logistique du commerce transsaharien, situé complément en dehors de toute parcelle agricole.

D’après le plan du capitaine N. Larras de 1899 (avec les réserves qu'une carte de cette période puisse soulever après 8 siècles de changements et d'évolutions), on peut observer le zonage de l’oasis, avec la ville bâtie à l’intérieur des remparts, les espaces agricoles autour (avec des cultures intensives et extensives qui persistent encore, comme les jardins de la Ménara et de l’Agdal), la situation des infrastructures hydriques (celles visibles comme les bassins mais il y avait aussi les souterrains comme les khattaras).

Plan de Marrakech levé en 1899 par le Capitaine N.Larras (source, Bibliothèque nationale d’Espagne)

 

Des photos historiques de Guéliz du début du Protectorat montrent des zones agricoles avec des masses d'arbres autour de la médina.

Éditeur: Tchakerian 1917 (source MANGIN@MARRAKECH)

Éditeur: Tchakerian 1922 (source MANGIN@MARRAKECH)

Photograhe: E. Michel 1912 (source MANGIN@MARRAKECH)

 

La preuve de l’existence de nombreux parcelles agricoles autours de murailles se trouve dans les plans de khattaras, un système de canaux souterrains pour amener l’eau depuis les montagnes jusqu’aux “jardins”.

Teheran, Marrakesch und Madrid. Ihre Wasserversorgung mit Hilfe von Qanaten; Eine stadtgeographische Konvergenz auf kulturhistorischer Grundlage (Source: Universitât Bonn)

 

On ne trouve pas des indications sur les marchés des caravanes mais il est évident qu’il devait avoir eu, minimum, un, soit sur le chemin qui amène à Ait Taourit bien à Taroudant, les deux routes qui connectaient la ville avec le Sahara en traversant les montagnes du Haut Atlas. Pour moi, il est invraisemblable que le marché de caravanes (une autre chose serait les marches locaux) ait pu être localisé sur la place Jemaa el-Fna tel que certains historiens proposent. À Sijilmasa le marché au centre ville était local, celui des caravanes, le Souk Ben Akla, était à 5 km en dehors de la ville et de l’oasis. D’ailleurs, il n’est pas possible de rentrer jusqu’à la place avec les chameaux complètement chargés en traversant les parcelles agricoles qui laissent des chemins très étroits entourés de murs en pisé qui clôturent les jardins pour empêcher le bétail de rentre dedans (tel qu’ils le font encore aujourd’hui dans les oasis). Lors de Qafila Thalitha j’ai pu constater la difficulté de rentrer dans une oasis avec seulement deux chameaux chargés. Peut-être que le marché des caravanes pourrait se trouver sur les pieds du mont Guéliz, d’autant plus qu’à proximité se trouvait le parc à fourrage.

Arrivé à l’oasis de Tighmert lors de Qafila Thalitha

Photographe: Félix 1917 (source MANGIN@MARRAKECH)

Photographe: Fahl 1918 (source MANGIN@MARRAKECH)

Après le traité de Fès du 30 mars 1912, la France a instauré le protectorat et une année plus tard, les services municipaux ont présenté un plan de lotissement pour la nouvelle ville (Guéliz), dessiné par le capitaine Albert Landais. Les travaux d’aménagement ont démarré cette même année et pour acquérir et construire sur les lots il était interdit d’arracher les arbres sauf si l’on plantait trois exemplaire pour chaque arbre détruit. Ce plan sera inclus dans le plan d’aménagement sur lequel Henri Prost commençait à travailler en 1920. Sur les successives plans on constate comment le îlot urbain où se trouve le bâtiment de Malhoun, n’a pas varié dans ses limites depuis 1913, même le morcellement des parcelles se ressemble beaucoup à ce qui existe aujourd’hui. Sur un plan de 1935 on pourrait évoquer déjà l’existence de notre bâtiment (avec des réserves puisque nous n’avons pas trouvé des traces du projet à l’Agence Urbaine). Dans ces dernières années, la majorité de bâtiments ont été remplacés par des des immeubles d’habitation de 6 étages quand originairement ils n’étaient que de trois.

 

Les connaissances acquises et les expériences réalisées dans les oasis nous ont permis d’interpréter les plans anciens depuis une perspective fonctionnelle et pourtant agricole, en les contrastant avec la manière dont les habitants vivent encore aujourd'hui dans les oasis. Ainsi, nous pouvons affirmer que la parcelle sur laquelle se trouve notre projet, faisait partie de l’oasis de Marrakech et qu’il ne s’agissait pas d’un terrain vague à l’extérieur de la ville. Ces origines oasiennes devaient être tenues en compte et intégrées dans la conception de notre proposition, dans l’identité du futur Malhoun Art Space.

 

Credits texts, photos and drawings: Carlos Pérez Marín