4. L’exposition

La promesse de l’empreinte


 

La proximité de la Foire d’art contemporain africain 1-54 ne permettait pas d’entreprendre les travaux de la première phase (démolition du rez-de-chaussée) et les finir en janvier 2023, raison pour laquelle les maîtres d’ouvrage (Éric et Mohammed) et les commissaires (Phillip et Chahrazad) avaient décidé d’organiser une exposition d’art contemporain en utilisant les appartements du premier étage tel qu’ils étaient, en les vidant, en les nettoyant et en installant un éclairage général dans toutes les pièces. Vu la visibilité que ce nouveau space pouvait avoir pendant la foire, nous avons proposé de montrer des éléments du projet architectural afin que des possibles investisseurs aient pu constater qu’il ne s’agissait pas seulement d’une idée, d’un désir, sinon d’un projet de réhabilitation architectural et urbanistique (les documents pour la demande du permis de construire étaient prêts depuis octobre 2022) et d’un projet culturel assez avancé dans ses réflexions. Mais comment introduire ce type d’information dans une exposition d’art contemporain? Avec un texte, des plans, des images en 3D, des maquettes…? Il fallait être aussi cohérent avec l’esprit derrière Malhoun et finalement l’idée de présenter des maquettes a été retenue. Le plus facile aurait été partir sur des modèles et techniques que nous connaissions déjà pour fabriquer des maquettes architecturales sauf que Malhoun pourrait nous donner la possibilité de faire autrement et expliquer les principaux concepts du projet en utilisant des techniques artisanales. Or, ce positionnement exigeait un changement assez complexe dans nos manières de penser et de fabriquer ces maquettes.

 

 04.1 Maquette de l'îlot

Avec Driss nous avons entamé une série de discussions et de réflexions sur diverses questions. Nous avons, d'abord, dû décider quoi montrer avec ces maquettes, quelles étaient les particularités du projet, ce que nous apportions en tant qu'architectes à l'évolution de Marrakech et aux besoins du client. Pour Driss, il fallait remarquer l’axe visuel qui traversait l’îlot d’ouest en est et que si jamais un jours on libérait un des garages mitoyens à l’ouest et que l’on ouvrait une porte sur ce façade, on pourrait incorporer à l’espace public une rue piétonne, en facilitant d’ailleurs l’accès au futur jardin qui pourrait devenir aussi public.

Axe Malhoun - rue Mohammed el-Beqal

 

Axe Malhoun - boulevard Abdelkrim el-Khattabi

 

Pour moi, l’idée fondamentale était d’essayer de récupérer l’usage que cette parcelle avait avant le début du protectorat, c’est à dire, celui d’espace agricole au sein d’une oasis. En fait, notre bâtiment était déjà une oasis en soi-même à l’intérieur d’un cœur d’îlot. L’axe proposé par Driss était important d’un point de vue urbanistique, allait être reconnaissable dans la maquette à partir du moment où les deux accès au cœur d’îlot, depuis la rue Mohammed el-Beqal et le boulevard Abdelkrim el-Khattabi, étaient marqués par l’interruption des façades. Au final, nous avons convenu de réaliser une maquette qui représenterait la massivité de l'îlot (presque entièrement occupé par les nouveaux bâtiments) par rapport à l'espace intérieur généré et à l'existence de notre bâtiment. Ensuite il fallait décider le matériel à utiliser, le carton-plume, l’impression 3d, le bois… Mais si le point de départ était de travailler avec les artisans, il était clair qu’il fallait faire la maquette en bois, compte tenu du niveau technique et de l’expérience des artisans du Fenduq. Lorsque nous avons commencé à réfléchir à la manière dont nous allions réaliser la maquette, nous avons constaté que nous devions changer de mentalité, car nous prenions naturellement pour acquis les décisions qui nous conduisaient vers une maquette de type "traditionnelle" (d'un point de vue architectural). À plusieurs repris, nous avons dû revenir aux prémisses de départ, sans images préconçues sur ce que devrait être le résultat.

Avec les premiers croquis nous avons essayé de tester des masses qui représenteraient les volumes perceptibles depuis le toit de notre bâtiment, sans tenir compte de la différence de hauteur des bâtiments ni de l'existence de fenêtres, balcons ou terrasses, uniquement des volumes solides.

 

Pour la deuxième phase nous avons dessiné en 3d cette représentation de l’îlot, avec ces axes, afin de tester les échelles et dimensions du modèle.

 

Ensuite nous avons fait une maquette en carton pour vérifier à nouveau les échelles et voir la pertinence de traiter notre bâtiment et notre parcelle de manière différente.

 
 

À partir de cette maquette en carton nous savions que nous ne pouvions pas simplement construire ses volumes en bois et les poser sur une planche d’un centimètre d’épaisseur, il fallait partir d’un block en bois et vider son intérieur, en profitant du savoir-faire des artisans menuisiers du Fenduq. Avec les plans à l’échelle définitive et les photos de la maquette en bois, nous pensions que c’était suffisant comme information pour passer à la “fabrication” dans les ateliers Fenduq à Sidi Moussa. Il nous fallait trouver un block en bois. Après avoir expliqué à Éric ce que nous voulions faire, ils nous a dit qu’ils pouvaient trouver un morceau de tronc de cèdre avec un diamètre de 60-70 cm mais nous devions décider la hauteur. Tel que nous avions testé avec la maquette en cartoon, avec 12 cm était suffisant pour représenter les bâtiments mais il fallait ajouter encore plus, afin de vraiment montrer qu’il s’agit d’un morceau de tronc vidé. Finalement nous avons proposé 70 cm. Deux jours plus tard, nous avons reçu à l’atelier une livraison depuis Ifrane, un tronc de cèdre de 70 cm de diamètre et 120 cm de hauteur. Habitués aux dimensions des maquettes architecturales, nous croyions que déjà avoir 70 cm de hauteur était quelque chose de magnifique, mais quand Éric nous a dit pourquoi nous ne gardions pas tout le tronc afin d'éviter par la suite chercher un socle pour poser la maquette, c'est là que nous avions constaté comment les approches entre artistes et architectes peuvent être différentes.

Avant démarrer les travaux sur le tronc nous avons demandé l’avis de Dragon (Abdelkhader) et de Abdelghafour sur la procedure et méthodologie que nous proposions, ils nous ont dit que cela était facile et rapide à faire.

 

Il manquait décider comment allions-nous faire le bâtiment. La première idée était d’utiliser du bois, mais un autre type, avec une tonalité plus foncée. La taille de cette pièce, en comparaison avec le tronc, allait le rendre presque inaperçue. Puis, nous avons pensé à l’impression en 3D, mais le bois du cèdre méritait plus de noblesse que du simple plastique en PVC. Ils nous restait le cuivre, une des techniques maîtrisées par le Fenduq mais nous ne savions pas s’ils allaient pouvoir reproduire le surface irrégulière de la toiture. Pour mieux montrer le géométrie nous avons dessiné des plans avec un possible découpage à partir d’une seule planche en cuivre, plus une pièce imprimée en 3D pour servir de référence. Nous pensions que cela allait être compliqué mais finalement les artisans ont pu résoudre les plis de la toiture. Une fois posé le bâtiment nous nous sommes rendus compte qu’il fallait indiquer la position et surface de notre parcelle sur l’îlot, sinon, on pourrait donner l’impression que le projet se limitait à la construction actuelle tandis qu’en réalité notre projet était le jardin qui allait occuper toute la parcelle. À ce propos les artisans ont ajouté une autre pièce en cuivre sur toute la surface de la parcelle.

Nous avions une dernière question à décider. Fallait-il donner une finition au tronc de bois ou bien fallait-il le laisser tel quel? L’apparence du bois était important et même si l’on pouvait partir sur l’idée de le protéger avec un vernis, il fallait pas tomber sur des finissions plus proche du mobilier, de l’objet design ou de la maquette architecturale. Encore une fois, il était important de rester cohérent avec la nature du matériel. C’était “Dragon” qui nous a dit: “quand le bois est si bon, il faut pas le traiter, j’ai chez-moi une table en bois de cèdre et je ne l’ai jamais vernie, quand elle s'est salie, je l'ai poncée et c'est tout, en plus, elle laisse la pièce avec une odeur magnifique, mon avis, il faut nettoyer les copeaux et poussière de bois avec de l’air comprimé et c’est tout”.

 

La maquette dans la “salle d’exposition” une fois finie.

 
 

 04.2 Maquette de l'évolution de l'îlot

L’autre idée qui nous semblait importante remarquer était la récupération de la parcelle comme espace vert et expliquer l’évolution de notre îlot depuis la fondation de Marrakech en 1070 jusqu’à nos jours. D’une part, nous comptions nous appuyer sur la planimétrie existante à partir de 1898 mais nous ne savions pas comment le représenter ni avec quel matériau. Nous avons pensé au bois, au plexiglas, au cuivre et au maillechort, aussi à faire une planche pour chacune des évolutions de l’aménagement oasien et urbain de notre îlot. Mais comment pourrions-nous montrer ces planches et cette évolution? On s’est dit de les accrocher au mur mais cela nous semblait trop classique. Encore une fois, nous sommes revenus sur nos prémisses de départ et garder l’essentiel en montrant les idées architecturales comme un objet artisanal, tel que nous avions fait avec la première maquette. Ainsi, il était clair que la solution passait par superposer les différentes plaques, selon l’évolution dans le temps, en les suspendant.

© Driss Benabdallah

© Driss Benabdallah

 

Afin de décider quelles phases de l’évolution urbanistique allions nous retenir et comment faire avec le cuivre, nous avons “examiné” l’atelier Fenduq. En regardant les matériaux stockés, les travaux en cours, les échantillons et les chutes et surtout en parlant des possibilités avec les artisans Abdelaali Arib, Ismail Bounit et Hassan el-Mouaddine, et avec Éric, nous avons commencé à y réfléchir.

Or, nous avons été confrontés à des questions très sensibles aujourd'hui, que ce soit dans l’architecture, dans l’art contemporaine ou dans l’artisanat au Maroc; la représentation de la culture marocaine à travers des images stéréotypées. Au Maroc si l’on construit un bâtiment public on doit voir sur la façade des matériaux (tuiles, zelliges, plâtre), des formes (arcades, toit à deux ou quatre pentes), des motifs (copiés des zelliges, du plâtre, des portes et plafonds en bois) de tel sort que le bâtiment puisse être reconnu comme marocain, comme si le pays ait été arrêté dans un moment de son histoire, comme si rien n’ait évolué ni avant ni après ce moment précis, et en considérant l’ensemble du territoire comme une seule entité avec les mêmes coutumes, cultures et histoires.

Cette vision unique était contraire à une architecture qui a été en constant changement, en s'adaptant aux modes de vie, à l’économie, aux techniques constructives et aux matériaux. Par exemple, les médinas, on les voit comme des quartiers uniformes, comme s’ils avaient été construits d’un coup, sans considérer le processus constructif, d’occupation et de densification. Pareil pour les maisons de ces médinas, les changements des systèmes constructifs et structuraux (arcades en brique cuits, poutres en bois, poutres en acier, maintenant poutres en béton) tout au long de l’histoire, a signifié la modification des dimensions des patios, des chambres et même de la distribution intérieur (d’ailleurs en rapport direct avec l’évolution de la composition familiale). Pour cette raison il est fondamental de comprendre les raisons et les mentalités qui ont donné lieu à une ville, à une maison, à un objet artisanal, à une oeuvre d’art, plutôt que rester dans l’image d’un produit. Dans ce ses, le patrimoine à protéger dans certains cas serait plutôt ces mentalités et non pas l’objet matériel produit.

En revenant sur nos maquettes, à l’heure de trouver une méthode pour reproduire la trame d’espaces agricoles, on nous a montré les motifs que l’on utilise normalement pour divers objets en cuivre et en maillechort (lampes, plateaux, théières…) et que Éric utilise dans la plupart de ses oeuvres. Pour moi c’était trop redondant parce que nous étions en train de reproduire une oasis marocaine, avec des matériaux appartenant à l’artisanat marocain, avec des artisans marocains et avec des instruments et techniques marocaines et tout cela ne suffisait pas pour considérer un objet comme artisanat marocain? Il fallait ajouter des motifs typiques pour le rendre évident que c’était marocain?

Finalement, nous avons décidé de surtout pas utiliser des motifs “classiques” dans la maquette.

 

Nous avons établi trois phases de l’histoire de la ville de Marrakech, l’oasis entre 1070 et 1898, le plan cadastral de 1913 et l’état actuel. Nous avons pris comme prémisse qu’il fallait une représentation simple et en utilisant la cartographie dont nous disposions. La surface de la maquette allait se correspondre avec l’îlot urbain dans lequel se trouve notre parcelle.

 

Pour la première phase il fallait indiquer les chemins qui ont donné lieu aux géométries des parcelles et le type d’arbre et cultive qui avait à l’intérieur en s’appuyant sur une image de parcelles agricoles dans les environs de Marrakech. Hassan nous a montré les outils qu’il utilise et la marque qu’ils laissent dans une plaque en cuivre. Il pouvait faire des cercles de différentes tailles, ce qui nous permettait représenter divers types de arbres.

On a testé en marquant le cuivre la division du plan cadastral de 1913 de la même façon que Hassan avait fait pour les chemins de l’oasis, mais on risquait de ne pas bien comprendre le résultat. On s’est dit d’essayer comme si les parcelles avaient des murs dans leurs périmètres et l’effet était plus clair.

La dernière phase a été plus compliquée. Il nous fallait des volumes en cuivre pour représenter les nouveaux bâtiments, mais cette massivité était contraire au propos de superposer des plaques suspendues et de faire une maquette “légère”. Or, nous ne savions pas très bien si en utilisant les plaques en cuivre, on allait pouvoir montrer le vide à l’intérieur de l’îlot. Nous avons testé l’utilisation de plusieurs plaques comme si elles étaient les dalles des bâtiments on les approchant assez pour garder leur indépendance mais en faisant partie d’un ensemble. C’était une solution plus cohérente avec les autres phases mais il fallait résoudre comment ces plaques allaient tenir et à quelle distance on allait les disposer. Ismail a proposé de souder des petites morceaux cylindriques de cuivre pour que les plaques soient solidaires. En étudiant leur longueur et position on pourrait les cacher lorsque le modèle est vu sous différents angles.

Nous avions encore quelques questions à y résoudre; comment unir visuellement les trois phases; comment représenter notre bâtiment; où le placer. Nous avons décidé qu'il était important d'utiliser des palmiers pour relier les trois phases évolutives et ainsi montrer l'intention principale du projet, la récupération de l'identité de la parcelle en tant qu'espace vert. Ismail a suggéré plusieurs types de palmiers et nous en avons choisi un. Concernant le bâtiment, nous l'avons placé sur la plaque du plan cadastral car il n'était pas possible de le soutenir au niveau supérieur et le suspendre n'était pas non plus une option.   

 

La maquette dans la “salle d’exposition” une fois finie.

 
 

Cela a été vraiment un grand plaisir d’avoir pu travailler avec les artisans du Fenduq; Abdelghafour Bouktrouk, Abdelkader “Dragon” Hmidouche, Abdelaali Arib, Ismail Bounit, Hassan El-Mouaddine et Mohammed Ouahddou, aussi avec Samya Abid et Éric Van Hove. D'une certaine manière, ils m'ont permis de revivre des moments associés à mon enfance puisque j’ai agrandi entre entrepôts dédiés aux métiers de la construction (Comandancia de Obras de Ceuta), où je jouais dans les ateliers d’électricité, de mécanique, de maçonnerie et de menuiserie… Cette fois-ci, ce n’était pas un jeu mais un exercice et réflexion liée au patrimoine et à l’architecture contemporaine de Marrakech, au moins, c’était un essai.

 

 04.3 Le projet architectural dessiné

Bien que nous avions demandé s’il fallait préparer un texte ou un dépliant avec des plans pour expliquer le projet, les commissaires ne considéraient pas nécessaire ce type d’information, mais le 4 février, une fois décidée la place des deux maquettes dans l’exposition, un des commissaires, Phillip, nous a dit que cela serait bien d’accrocher des plans sur un des murs. À 5 jours du vernissage, on devait encore finir la maquette en cuivre, suivre le chantier sur le jardin et faire des plans qui nous avaient demandé à la dernière minute de certaines installations d’art des artistes. Il était évident que nous n’avions pas le temps pour penser à des affiches qui pourraient expliquer tous les propos du projet, et surtout, parce que nous avions fait des maquettes assez éloignées du concept de maquette architectural pour les mettre à côté des plans d’architecture. Notre réponse a été négative, mais en suivant l’esprit de l’exposition, où presque toutes les oeuvres s’adaptaient aux espaces existants et à ses contraintes plastiques et visuelles, nous avons proposé de dessiner le projet sur deux parois, en expliquant les principaux éléments des oasis qui ont été considérés et intégrés, ainsi que les recherches menées dans le désert dont l’expérience allait nous servir pour donner des solutions spatiales, constructives et structurelles au projet architectural de Malhoun. Il était hors de question que le visiteurs aient pu penser que nous avions utilisé le mot OASIS d’une manière très légère, tout simplement parce que le projet se trouvait à Marrakech.

Cette solution nous donnait la possibilité de faire des petits dessins entre les différentes taches et même les continuer après le vernissage au fur et à mesure que des idées nous venaient à la tête ou que des visiteurs nous demandaient plus d’information. 

 
 

 04.4 L'aménagement du parking

En conversation avec les maîtres d’ouvrage et les commissaires, nous avions proposé l’aménagement du parking car son état actuel n’était pas l’idéal pour accueillir le public qui allait visiter l’exposition. Ils ont accepté mais il fallait dépenser le minimum en termes budgétaires. Lors de ces conversations, ils nous ont demandé de changer l’image du parking en utilisant des graviers peints en “bleu Majorelle”. Le Jardin Majorelle est le lieu touristique le plus visité à Marrakech, créé par le peintre français Jacques Majorelle en 1931 qui s’était inspiré des oasis en peignant des nombreux murs d’une couleur bleue, aujourd’hui appelée bleu Majorelle. Le jardin avait été racheté par Yves Saint Laurent et Pierre Bergé dans les années 80 et maintenant il appartient à une des fondations qu’ils avaient créé. Pourtant, cette couleur devrait bien s’appeler “bleu berbère” puisque Majorelle l’avait copié des plafonds de l’atelier qu’il avait à la kasbah Taourirt à Ouarzazate, tel que le directeur du CERKAS, Mohammed Boussalh, m’avait raconté sur place il y a des années.

Kasbah Taourirt, Ouarzazate (Maroc)

Jardin Majorelle, Marrakech (Maroc)

J’étais complètement contre l’utilisation de cette couleur comme repère visuel pour remarquer qu’on était bien à Marrakech. Au fait, j’avais aussi en tête le gravier, un matériel avec lequel on pourrait couvrir complètement le sol du parking et ensuite, après la foire, le rendre à la carrière en attendant les travaux définitives du centre. Par ailleurs, il était clair qu’il fallait éviter le gravier gris, parce qu’il pouvait donner l’impression de nous trouver sur un chantier. Nous avons demandé des échantillons à des carrières près de Marrakech et nous avons eu des graviers roses et blancs. Nous nous inclinions pour le rose car l’image allait être plus proche de ce que nous avions imaginé pour le projet une fois exécuté, avec la finition du jardin avec un sol stabilisé et renforcé à la chaux, en utilisant (ce que je croyais à l’époque) les mêmes matériaux utilisés sur les allées du Cyber-Parc de Marrakech, et qui avait une teinte rouge. Pendant que nous comparions la taille et les couleurs des graviers au Fenduq, Eric a fait un test avec de la peinture rouge. En voyant le résultat, il était très sûr de proposer de peindre tout le gravier en rouge, en bleu ou dans une autre couleur, pour lui il était important de changer radicalement l'image du gravier et en même temps du parking. Encore une fois j'étais contre car il voulait créer une image, certes très photogénique, mais pour moi c'était de la décoration et il fallait absolument être cohérent avec l'idée du projet, retrouver l'esprit de l'espace agricole, et nous n'allions pas y parvenir en utilisant de la peinture synthétique bleue.

L'entrepreneur, Othmane, suivait nos conversations et à un moment donné, il nous a expliqué pourquoi nous n'utilisions pas de briques concassées, c'était beaucoup moins cher et plus rapide à poser et c'était la solution constructive utilisée dans le parc Arsat Moulay Abdeslam. Je ne connaissais pas ce parc mais la veille j'étais allé prendre des photos des allées rouges du Cyber-Parc, quand je les ai montré à Othmane, il m'a dit que c'était le même parc. Pour moi, il n'y avait aucun doute, nous devions utiliser le même matériel pour notre projet, surtout après avoir compris que les travaux dans le parking n'allaient pas être temporaires, mais la première phase du projet, et donc ce ne serait pas une solution temporaire mais plutôt définitive.

 

Il restait encore deux éléments que nous considérions comme essentiels dans l’aménagement du parking. Pour Driss, il était nécessaire d'intervenir dans l'un des murs mitoyens en raison de sa forte présence spatiale. Il avait raison, mais au début il est vrai que l'idée ne m'a pas convaincu, du moins avec ces dimensions-là, car on risquait de donner l'impression de vouloir faire une œuvre d'art très visible, tout comme le voulaient les promoteurs avec le utilisation de graviers colorés. Le triangle proposé par Driss allait être associé à l'un des bancs puisque le soleil tombait sur cette zone le matin, ce qui en ferait l'endroit le plus agréable du futur jardin lors des froides matinées de février. À la fin nous avons utilisé de la poussière de brique mélangée avec de la colle pour peindre le triangle, l'effet final était celui que Driss souhaitait dans ses croquis, donner une continuité au sol pour modifier la perception spatiale de l'ensemble et le résultat était magnifique.

 

Si le véritable projet était la création d'un jardin en héritage de ce qui fut autrefois la ville de Marrakech, une oasis, il fallait commencer la construction de ce jardin par la plantation, d'au moins, un des arbres indiqués sur les plans. Nous avions prévu Erythrina caffra car la hauteur maximale était de 8 m et nous pouvions créer une surface végétale horizontale qui donnerait une continuité visuelle à la terrasse et au sol. Cependant, après avoir appelé et visité plusieurs pépinières à Marrakech et à l'Ourika, nous n'avons pas trouvé des exemplaires d'une certaine taille, au moins 4 mètres. Par contre nous avons trouvé à Marrakech l'Erythrina crista-galli, qui atteint normalement 15 mètres de hauteur, a une largeur de couronne de 6 à 8 m et a des fleurs, mais de couleur orange (au lieu des rouges de l'autre variété), avec une floraison plus précoce que la foliation printanière, et qui créerait néanmoins une image orange assez spectaculaire du futur jardin. De plus, le spécimen qu'ils avaient dans la pépinière était magnifique, avec quelques fleurs et un tronc complètement vertical jusqu'aux ramifications des branches. À l'avenir, une fois tous les arbres prévus dans le projet plantés, il faudra contrôler leur croissance afin qu'ils ne dépassent pas le toit du bâtiment. Par contre, une plus grande taille des arbres permettra de avoir plus d'espace libre entre le sol du jardin et la couronne des arbres et les répartir plus facilement sur la surface du parking en laissant encore plus de la place pour les activités culturelles et événementielles.

Le 5 février nous avons démarré les travaux d’aménagement, comprenant du mobilier provisoire, des bancs et une sorte de meuble pour installer le matériel de vidéoprojection. Nous avons fabriqué les bancs avec des madrier de bois de pin de 40 mm d'épaisseur car ce sont ceux qui étaient utilisés dans le Fenduq pour fabriquer les caisses de transport des œuvres d'art, en fait ce sont eux qui ont proposé ce matériau car ainsi ils pouvaient réutiliser le bois après l’exposition.

Le 8 février le parking était devenu jardin.

 

Voici l’évolution du chantier pendant les 4 jours qui ont duré les travaux d’aménagement et qui ont eu un budget de 64.440 Dh (6.196 €).

 
 

 04.5 La promesse de l'empreinte

Les commissaires de la première exposition dans l’espace d’art Malhoun ont été Phillip van den Bossche et Chahrazad Zahi et ils ont invité des artistes dont la plupart avaient déjà produit des oeuvres au Fenduq.

 
 

Même si notre mission s'est terminée avec les documents de demande de permis de construire et les travaux de réaménagement du parking, je tiens à remercier tout particulièrement Éric et Samya pour leur confiance et je leur souhaite plein succès dans l’avenir du projet Malhoun Art Space.

Ce projet nous a permis d'en savoir plus sur l'histoire de Marrakech, nous avons constaté l'importance qui peut avoir le désert dans la compréhension de certaines villes marocaines, nous avons apprécié travailler avec les artisans et nous avons pu faire de nombreuses réflexions sur le patrimoine, les jardins, l’art contemporain, l’architecture, le développement culturel... Bref, ce fut un vrai plaisir de travailler sur ce projet.

 

Credits texts, photos and drawings: Carlos Pérez Marín