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Caravane Tighmert: auto-questionnement


 

clarification: il faut bien préciser que dans ce texte il y a des opinions personnelles (la majorité) et d’autres collectives, nous fait référence à une partie de l’équipe de Caravane Tighmert, notamment Ahmed, M’barek, Mohamed et Bouchra. 

 

 

le sens de Caravane Tighmert

 

Pendant 7 ans je me suis posé pas mal de questions sur ce que nous organisons à Tighmert, mais de manière plus intense après ce qui s’est passé entre 2020 et 2021; le voyage en Mauritanie (Obûr); la décision d’organiser Caravane Ouadane; l’exposition À l’Épreuve du Tamis (qui a eu lieu au centre culturel Le 18 de Marrakech); le confinement; l’incendie à l’oasis (et la réaction Soutenir Tighmert); les éditions 2020 et 2021 de Caravane Tighmert; mon “exil” forcé du Maroc à cause du virus pendant plus d’une année...

Des questions et des réflexions très variées et complexes sont apparues; l’idonéité de nos propositions envers les artistes; la façon de les organiser; le rapport avec les habitants (sédentaires ou nomades); la compatibilité avec le désert; la collaboration avec d’autres structures culturelles ou programmes (Le 18, Qanat, Sakhra, universités); les échanges et liens tissés avec les artistes qui sont passés par Tighmert... Certains sujets on été traités de façon personnelle, d’autres avec les amis et discutés pendant les épilogues et à travers de documents partagés en ligne. C’est grâce à ce questionnement constant que nous avons évolué dans notre perception de comment on devrait-pourrait développer la culture contemporaine à Tighmert, avec nos moyens. Or, tous ces discussions m’ont rasuré certains de nos positionnements mais ils ont mis aussi en doute le besoin et l’utilité d’une telle stratégie dans le désert. 

Est-ce que cela vaut, vraiment, la peine de continuer à faire l’effort d’organiser Caravane Tighmert? Est-ce que nous avons su attirer l’attention des artistes, non pas seulement envers la rencontre culturelle mais envers le désert? Si l’on regarde le nombre de candidats (en comparaison avec les appels faits dans le reste du pays), on pourrait affirmer que peut-être nous avons échoué, mais il est vrai que ces données ne peuvent pas être décisives. Qu’est-ce qui se passerait si nous décidions d’arrêter? Sincèrement, d’un point de vu artistique, rien. Certains artistes diraient que cela serait dommage mais rien de plus. Pour nous, les organisateurs, on pourrait dédier notre énergie, temps et argent à d’autres activités (ou simplement à ne rien faire); personnellement je pourrais visiter plus souvent mes amis qui habitent en Europe ou dans les vallées du Drâa et du Ziz; j’aurais un deuxième créneau temporaire pour faire Qafila; je pourrais explorer les territoires désertiques de la Mauritanie, l’Algérie, l’Iran…

Or, si l’on considère des aspects qui ne sont pas liés directement à l’art, la décision d’arrêter serait beaucoup plus difficile à prendre. Cela fait déjà 9 ans que nous faisons des ateliers pour les enfants avec des artistes (nous avons commencé en 2013 avec Warsha Sahara) et nous avons vu pendant ces années les effets des activités culturelles sur la population, à condition de les développer en continue et pendant un long période de temps.

Les impacts de la culture ne sont mesurables avec des statistiques administratives

Avec Ahmed nous avons eu récemment une conversation sur l’impact de Caravane Tighmert sur (une partie de) la population, spécialement sur les membres locaux de l’équipe (dont Ghassan Kaaibich et Mohamed Zarragane), lesquels profitent de la préséance des artistes pour apprendre des techniques, des méthodologies de travail et de recherche et bien sûr sur leur propre culture, toujours sous le prisme de l’art contemporain. 

 

Mais à part Tighmert et ses gens, qu’est que nous apportons à la scène artistique et culturelle marocaine? Devrions-nous, qui sommes à la périphérie des régions éloignées, réfléchir à cette question? Surtout que nous n’avons pas une ambition curatoriale ou bien un postulat théorique à défendre (en tenant compte que pour ma part, je n'appartiens pas au monde de l'art contemporain et je ne veux pas en faire partie, même si cela m'intéresse). Depuis le début, nous savions que nous dévions construire notre propre « projet » sans copier les modèles à la mode et encouragés par les institutions européennes et arabes, tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas s’appliquer à un lieu comme Tighmert, quand il s’agit de faire un événement annuel et sans public la plus part des éditions. Je ne sais pas ce qui se serait passé si jamais nous avions été retenus pour les candidatures auxquelles nous avons postulé pendant ces années (Institut Français, Ministère de la Culture et de la Jeunesse et des Sports, Fondation Kamel Lazaar, Fonds Roberto Cimetta, AFAC, Ambassade du Royaume des Pays-Bas, Fondation Anna Lindh, Province de Guelmim et Région Guelmim-Oued Noun). Aurions-nous été forcés à rentrer dans une dynamique plus proche de l’industrie culturelle ou bien aurions-nous eu la capacité de garder notre identité? Je ne connais pas la réponse, mais si nous sommes arrivés jusqu’à là avec une telle proposition, c’est grâce à la capacité de nous adapter aux contraintes (ou avantages) d’être dans le désert (pour moi c’est la clé pour comprendre comment nous agissons) et de ne pas avoir ni financement ni tutelle administrative. Or, la manque d’argent ne devrait pas être un motif pour valider positivement ou négativement notre projet, ce n’est pas parce que nous faisons Caravane Tighmert sans financement public que notre projet pourrait avoir plus de valeur ou que l’on pourrait être plus permissif avec nos erreurs et défaillances.  


désert et scène artistique

 

Malgré le fait d’être une structure culturelle non organisée (et non professionnelle) et sans financement institutionnel, est-ce que l’on pourrait affirmer que nous appartenons à la scène artistique marocaine? Cela m’amène à d’autres questions; Qui compose cette scène, les galeries, les musées, les médias, les artistes, les collectionneurs, les institutions publiques? Est-ce qu’il y a de la place pour les structures indépendantes? Est-ce que ceux qui promeuvent la création ont la même importance que ceux qui font la promotion du marché de l’art? Je pense qu’il faudrait différencier entre scène créative, scène promotionnelle et scène commerciale, même s’il doit y avoir des relations étroites entre elles (ou pas). Mais laissons ce débat pour ne pas trop nous dévier du sujet initial (d’autant plus que je ne suis ni marocain ni résident au Maroc et je ferai jamais parti de cette scène) et revenons  sur la scène artistique en termes génériques. Pendant combien d’années il faut perdurer pour que Caravane Tighmert soit inclu dans cette scène? Suffit-il une année, cinq, dix...? Ou bien la mesure du mérite est établie selon certains paramètres tels que le nombre de participants; le nombre de parutions ou mentions sur les les médias généralistes et spécialisés; la quantité de recherches académiques qui nous mentionnent; le nombre d’invitations à donner des conférences ou à participer aux débats…?

Je ne peux pas nier que parfois j’ai pensé à la nécessité de franchir les dix ans pour que l’on puisse « mériter » une place sur la scène contemporaine, mais j’ai vu comment la proximité aux grandes villes comme Rabat et Casablanca peut faire parler d’une seule édition d’un événement, avec beaucoup plus d’enthousiasme et intensité que Caravane Tighmert après 7 éditions. C’est le cas de Sakhra, dont je suis co-organisateur avec Abdeljalil Saouli et Gilles Aubry et que pour l’instant il n’y a eu qu’une seule édition, célébrée à Moulay Bouchta al-Khamar (Taounate) en mars 2019. Le fait d’être à l’origine des deux projets et de voir la répercussion si disparate me permet de rester à l’écart des publications des médias et des commentaires dans les cercles artistiques à l’heure de donner la véritable valeur à n’importe quelle proposition culturelle sans prêter attention aux réactions de tiers. Cependant, je tiens à préciser que Caravane Tighmert et Sakhra ont un grand intérêt pour moi et que les deux événements partagent des questions, bien si certaines réponses sont diverses puisque la population, l’espace et les principaux sujets de recherche sont différents. 

 

En définitif, la question d’appartenir, ou pas, à la scène artistique ne doit pas nous empêcher de suivre notre chemin, je suis convaincu que l’on ne peut pas travailler en ayant cet objectif, cela sera une tâche pour les chercheurs et historiens de l’art de décider, dans l’avenir, si ce que nous faisons à une valeur ou pas. 

 

Je préfère être cohérent avec mon attitude envers tout ce que je fais, en tant qu’architecte et en tant qu’activiste culturel, une attitude qui a imprégné de nombreux créateurs et qui vient de Fernando Pessoa, lequel écrivait qu’il fallait faire de la littérature sans penser que l’on est en train de faire de la littérature, un précepte que Alejandro de la Sota (un des principaux architectes espagnols du 20ème siècle) pratiquait dans ses projets et qu’il a transmis à un grand ami, enseignant et architecte, Resti Bravo, qui, au même temps, nous a appris à ses élèves de l’École d’Architecture de Séville.                                                                                                                                         

Cette attitude pourrait nous aider à résoudre quelques conflits et décisions qui se nous présentent à fur et mesure que nous avons plus de visibilité, que cela soit par les commentaires des artistes qui sont venus à Tighmert ou par l’écho créé par nos amis de LE 18 de Marrakech qui essaient de nous faire connaître à travers ses conférences (Qanat: past, present and futur of oases), ses tables rondes (Retour de Tighmert), ses expositions (À l’Épreuve du Tamis), ses publications (Chergui 001 et Chergui 002) et les références qu’ils donnent de nous à ceux qui veulent savoir ce qui se passe culturellement au Maroc. Bien évidement nous ne pouvons que montrer notre gratitude pour cet effort et générosité mais je me pose une question, à quoi sert la reconnaissance de nos activités? D’un côté à avoir plus de candidatures et à moment donné à améliorer encore plus le niveau des participants, mais cela ne devrait être non plus notre objectif car pour nous il est important de nous baser surtout sur les artistes marocains (et dorénavant mauritanien) pour qu’ils développent leur propre culture, surtout si leurs origines sont des régions désertiques. Notre préséance lors de la Foire d’Art Contemporain Africain 1_54 en février 2020 (grâce à LE 18), à la table ronde du Forum, Enacting Agencies, et à l’exposition À l’Épreuve du Tamis nous a donné l’opportunité de nous faire connaître à des niveaux inimaginables; des collectionneurs, des artistes, des commissaires d’art, tous venus du monde entier ont pu découvrir nos activités, mais j’ai été aussi exposé à des situations qui m’ont fait beaucoup penser pendant le confinement. Selon un ami, je me suis montré très arrogant pendant mon intervention à la Mamounia où j’avais été invité à expliquer le rapport entre art contemporain et société, d’après notre expérience à Tighmert. Il est fort probable que mon attitude ait été arrogante, mais c’était ma réaction face à une foire et ses acheteurs qui sont précisément très, très loin d’une société comme la marocaine, où j’avais même le sentiment d’être utilisé pour qu’ils puissent dire, “voilà, nous avons un côté social dans la foire et nous donnons la parole à ceux qui n’ont pas les moyens de se faire connaître”. Peut-être que j’aurais dû refuser l’invitation, tel que j’avais déjà fait en 2018 quand Voice Gallery voulait nous inclure dans le programme Forum de la foire, mais après avoir medité, je me suis dit que cette fois-ci, notre participation pourrait aider à comprendre l’importance de ce que nous faisons avec les habitants et membres de l’équipe à Tighmert. Je pensais aussi à l’opportunité de faire connaître l’oasis et la culture hassaniya.



Ce qui m’inquiète de la visibilité, c’est le temps que l’on doit dédier à expliquer le projet à ces artistes et programmateurs dont leur intérêt est une conséquence de cette notoriété et non pas de notre “proposition artistique”, comme s’ils n’avaient pas de critère pour décider ce qui est intéressant et ce qui ne l’est pas, d’autant plus que je vois comme il commence à avoir un intérêt pour le désert en terme d’espace de création, mais d’une manière très superficielle (c’est le même problème qui a le cinéma). Des projets que certains amis voient comme concurrence, ou directement comment plagiaires, mais auxquels que je prête pas attention. C’était le cas avec Kafila, la résidence nomade organisée par l’Institut Français que quand ils ont vu la polémique sur les réseaux sociaux sur son ressemblance avec Project Qafila (même si j’avais écris un texte en réfutant la comparative), en essayant de nous inviter, voir nous intégrer (Sujet du mail: Kafila invite Qafila) dans leur projet et avec une grande insistance par mail à échanger nos idées par téléphone, mais sans jamais avoir eu cet appel. Ou des résidences artistiques d’une semaine en découvrant la vallée du Drâa où les artistes produisent des images en ayant le désert comme simple décor.


 

un projet culturel ne peut pas être parachuté dans un désert, il faut donner du temps, aux organisateurs et aux participants, pour qu’il puisse se développer, se définir, ce qui nous essayons depuis 2013 à Tighmert

 
 

Comme nous avons vu dans l’épilogue de la dernière édition, on pourrait décrire Caravane Tighmert comme une porte que nous ouvrons aux artistes et chercheurs pour qu’ils puissent apercevoir la complexité du désert et les opportunités qu’il offre à la création contemporaine, à condition de franchir cette porte et dédier du temps à étudier, à observer, à comprendre et pas nécessairement à produire (surtout pas tout de suite). Bien évidement avec les expériences auxquelles nous mettons les participants, nous pouvons donner une fausse image, celle d’utiliser aussi le désert comme décor. Le fait de passer des jours et des nuits dans le désert, peut donner l’impression que nous faisons tout simplement du camping, tandis que nous essayons de faire apprendre des comportements et des attitudes communautaires dans un territoire extreme et dangereux, avec des “méthodologies“ acquises lors du Project Qafila.

 

Nous sommes conscients que ces images peuvent nuire à notre projet en attirant des touristes plutôt que des artistes intéressés à travailler sur le désert. La banalisation du désert et la participation à la foire 1-54 m’ont donné envie de passer à la « clandestinité » dans le sens de ne plus communiquer l’événement sur les réseaux sociaux  et de recevoir seulement des artistes qui ont eu une connaissance de Caravane Tighmert à travers le bouche-à-oreille, en évitant les artistes qui peuvent être attirés par les images publiées du désert en nous considérant comme une agence de voyage spécialisée dans le désert et spécifique pour artistes, mais sans avoir un vrai intérêt à travailler sur un projet ou faire une recherche. Pour éviter ce type de «public», je me suis dit que peut-être il faudra laisser notre site Internet en tant qu’archive numérique et publier seulement les appels à candidatures sur les réseaux. À réfléchir et discuter avec l’équipe…


 

la rive sud du Sahara

 

Toute l’expérience dans le désert, à travers les recherches et les projets comme Caravane Tighmert et Project Qafila, plus toutes ces questions, vont être essentielles lors de l’organisation de la première édition de Caravane Ouadane en novembre prochain parce que cela va nous mettre dans des situations que je critique, que nous critiquons, sur le comportement des institutions culturelles européennes au Maroc. Nous avons le risque de vouloir développer une activité culturelle à la “marocaine”, en transposant Caravane Tighmert à Ouadane. Avec Ahmed et Younès nous avons eu une conversation dans ce sens lors de notre voyage (Obûr) en Mauritanie en janvier 2020, et rapidement nous avons vu qu’il fallait développer cette nouvelle proposition à la “mauritanienne”, en considérant la réalité de l’art et de la culture locale, au fait, si ce n’était pas par l’implication des associations et personnes d’Ouadane (Zaida Bilal de l’Auberge Vasque) et Nouakchott (Mohamed Ali Bilal de Teranim et Isabel Fiadeiro de Zeinart et aussi Teranim), jamais nous aurions fait la proposition. Pour moi, il s’agit pas de faire agrandir un projet comme Caravane Tighmert et le transposer à Ouadane ou d’exporter un projet culturel pour nous donner plus de valeur, ce qui me pousse à organiser ce nouvel événement avec mes amis, c’est la curiosité et l’envie de savoir plus sur une autre région désertique que je considère qu’elle a les clés pour comprendre pas mal de sujets connectés avec le patrimoine et la culture du Maroc et de ma ville, Ceuta. Il est évident qu’il y a des éléments et des situations qui sont communs à Ouadane, à Tighmert, à Marrakech et même à Moulay Bouchta; le patrimoine bâti de la dynastie des almoravides; les routes des caravanes qui connectaient ces territoires; la problématique de l’éducation artistique et l’accès à la culture contemporaine dans des zones rurales; la place des artistes dans ces sociétés; le modèle de développement culturel… Je suis sûr et certain que Caravane Ouadane va nous donner des nouvelles pistes à explorer par la suite à Tighmert, à Marrakech, à Moulay Bouchta al-Khamar, même au détroit de Gibraltar (où nous attendons l’ouverture des frontières pour lancer une initiative appelée Chawati avec des amis de Tanger, Algésiras et Gibraltar).

 

Je me considère tellement privilégié de pouvoir avoir au même temps une vision globale et une autre locale des territoires et des cultures aussi lointaines mais similaires, que je me sens obligé à le partager avec les amis et avec tous ceux qui s’intéressent à ces mêmes questions, et c’est à travers ces événements “artistiques” que j’ai trouvé la meilleur façon de les partager. 


 

la non-stratégie

 

On pourrait dire que Caravane Tighmert s’inscrit dans un programme informel, non écrit, non programmé, variable selon les besoins et les envies, où nous faisons (et partageons) des recherches sur le désert, et qui se déroule en parallèle aux activités menées dans le cadre de Marsad Drâa, Project Qafila, Caravane Ouadane, Qanat… en ayant plusieurs niveaux selon les degrés de difficulté à l’heure de comprendre (et d’aprehender) la complexité du désert. Je sais pas si l’envie de marcher sur les anciennes routes des caravanes avec les nomades est une conséquence de Caravane Tighmert, probablement cela a aidé, mais l’envie de réaliser ces recherches pratiques a commencé avec les voyages dans la vallée du Drâa avec les étudiants de l’ENAT (entre 2010 et 2013), avec la rencontre chez les nomades en 2013 et avec les séjours à Café Tissardmine (Errachidia). En tout cas, j’ai pu apprendre de chaque projet et chaque événement s’est nourrit des deux initiatives, c’est ainsi que nous avons incorporé à Tighmert les sujets liés au nomadisme, dont les séjours en dehors de l’oasis (en 2017 c’était une nuit, en 2021 trois). Cette expérience me permet d’établir une classification, en observant le comportement et la capacité d’adaptation des participants: 

 

niveau 1 Caravane Tighmert, une participation

niveau 2 Caravane Tighmert, deux participations

niveau 3 Qafila saghira, une semaine

niveau 4 Caravane Ouadane  

niveau 5 Qafila kabira, deux semaines, au Maroc

niveau 6 Qafila max, quatre semaines, en Mauritanie.

 

Chaque niveau requiert un entraînement physique et psychique qui augment progressivement et qui demande pas mal de temps pour la préparation, du même que les demandes financières pour les réaliser qui sont plus importantes à chaque niveau, cela nous pose des problèmes parce que nous sommes conscients que tout le monde n’a pas l’argent pour les faire (mais on peut voir qui est vraiment intéressé), c’est dans ces cas que nous devons réfléchir à mettre en pratique l’essence d’appartenance à une communauté et aider à ceux qui ne peuvent pas payer les frais mais qui le méritent. 

Ce qui est important, c’est que l’on peut pas amener quelqu’un dans une qafila sans avoir passé par ce processus physique et psychique. Après Qafila Oula en 2016, j’ai eu tort quand j’ai proposé aux amis de faire Qafila Thania, en pensant que le fait d’être venu à Tighmert était suffisant pour savoir si l’on pouvait “résister” l’expérience. Pour cette raison, j’ai fait Qafila Thalitha en solitaire (avec Mouloud et Omar dans la logistique), mais j’ai proposé depuis 2017 d’utiliser Caravane Tighmert comme une sorte d’initiation pour ceux qui veulent approfondir, par la suite, sur des sujets liés aux caravanes et au nomadisme. Le deuxième stage de cette préparation a donné lieu à Qafila Rabiaa en 2019, une randonnée de sept jours avec des trajets de 3 heures (au lieu de 5). La troisième sera Caravane Ouadane et il me restera encore un défi, faire qafila en Mauritanie, en reprenant les pas de Théodore Monod (sans oublier les parcours de deux ou trois semaines à faire encore au Maroc).

La différence entre une qafila au Maroc et une en Mauritanie est présente dans la cartographie des territoires à traverser, des représentations plus simples avec très peu d’éléments géographiques (et pourtant de repères physiques) signifient plus de complexité mais une approximation à l’essence du désert.


 

L’avenir 

J’ai aucune idée sur la forme qui va prendre Caravane Tighmert (et les projets “parallèles”) dans les prochaines années, tout dépendra de nos envies à tester des nouvelles expériences, de notre curiosité pour apprendre et de notre capacité pour nous adapter aux circonstances, mais il y a deux dernières questions à réfléchir qui seront fondamentales pour décider notre chemin.

Bien s’il y a des artistes qui reviennent à l’oasis afin développent leurs projets initiés pendant Caravane Tighmert, nous nous sommes demandés comment pourrions-nous donner continuité, pendant le reste de l’année, aux activités et recherches de ces artistes. C’était dommage de ne pas avoir pu mettre en place la stratégie culturelle NOUN que nous avions fait à la demande des autorités de la province en 2017, un projet qui aurait été une opportunité pour relancer le développement culturel au Maroc, au moins en zones rurales, puisqu’il s’agissait de mener des activités éducatives et de recherches artistiques sur 15 oasis de Guelmim, en travaillant sur plusieurs disciplines (arts visuels, cinéma, théâtre, musique, danse contemporaine…) et pendant toute l’année. Pour l’instant NOUN reste une utopie mais nous ne cesserons pas de la présenter aux appels à candidatures de la région. Entre temps, nous nous débrouillons, comme d’habitude, avec nos propres (et limités) moyens, ainsi, nous avons discuté la possibilité d’utiliser une parcelle (à l’intérieur ou à l’extérieur de la palmeraie) comme laboratoire transdisciplinaire (art, architecture, agriculture, sociologie…) et le mettre à disposition de la communauté Caravane Tighmert qui ne cesse pas de s’agrandir avec le temps.

L’autre possibilité (qui n’est pas exclusive) serait d’aller jusqu’au bout dans la quête de l’essence du désert. J’ai beaucoup apprécié le commentaire de Youssef Titou dans l’épilogue lors de Qafila Rabiaa, à la question de qu’est-ce qui lui avait marqué le plus dans cette caravane, il a dit, à propos de Mokhtar, le nomade qui nous accompagnait: Ils sont très simples, minimalistes, ils se compliquent pas la vie, ils prennent les choses à la légère, j’aimerais bien arriver un jour à ça.C’est un sujet qui me ronde depuis des années et que j’essaie d’expliquer avec des textes (Dimensions of a desert, Dimensions of perceptions) et avec des dessins.

dessin pour l’exposition À l’Épreuve du Tamis, LE 18 MARRAKECH (février 2020)

 

On verra ce que nous ferons dans l’avenir et si finalement nous ne pouvons pas faire ce que nous aimerions, cela ne sera pas grave, on s’adaptera, comme toujours, mais au moins on va profiter chaque expérience et si possible avec nous amis.


Ceuta, 20 avril 2021

Carlos Perez Marin


Crédits images: Carlos Perez Marin