Ceuta et son positionnement géographique

développement territorial (maritime et urbain)


 

 1. préface

Les infrastructures de transport sont des instruments essentiels pour intégrer les villes dans le territoire qui les entoure, condition essentielle pour le développement économique et social de ses habitants. Cependant, de nombreux obstacles peuvent survenir lors de la planification de l'aménagement du territoire; isolement dû à l'insularité; la complexité des caractéristiques géographiques (une rivière ou une montagne qui empêche ou entrave la communication); les difficultés que l'environnement physique entraîne dans les lieux désertiques (à la fois du sable ou de la pierre et de la glace); la proximité des frontières, encore plus déterminante lorsqu'il y a une grande différence entre les économies des pays voisins... Selon la manière dont les difficultés sont affrontées et comment elles sont résolues, cela aura des conséquences positives ou négatives dans le futur d'une ville, d'un territoire ou même de tout un pays.

 

 2. introduction

Depuis des années Algésiras et sa région, Campo de Gibraltar, formulent une série d'exigences en termes d'infrastructures, dans le but d'intégrer le port et les industries de la baie dans les différents réseaux de transport du pays et de l'Europe et ainsi sortir d'un isolement qui leur a nui face à la concurrence d'autres ports européens et africains. De toutes ces demandes, une seule a été partiellement exécutée, l'autoroute Méditerranée, mais il reste la prolongation jusqu'à Cadix. On ne sait rien du développement du train à grande vitesse (AVE) ou de l'aéroport revendiqués (le plan officiel est de relier Algésiras à Malaga avec l'AVE et que l'aéroport de la Costa del Sol devient l'aéroport du Campo de Gibraltar). Alors que nos voisins de la rive nord du détroit sont soucieux de s'intégrer pleinement au continent européen, nous restons impassibles sur la rive sud, assumant un supposé isolement dans lequel seuls le port et l'héliport entretiennent un lien fragile avec l'extérieur, des infrastructures qui, en revanche, ne sont pas intégrées dans le tissu urbain, avec les conséquences que cela entraîne. Le lien terrestre avec le Maroc n'est pratiquement pas pris en compte, en effet, dans l'approbation initiale de la Révision du Plan Général d'Urbanisme (PGOU) de 2014, les mots frontière et Maroc n'étaient même pas mentionnés (inclus plus tard dans l'approbation initiale de 2016), en montrant la peu d'importance accordée à notre seul lien terrestre avec le continent africain dans notre urbanisme.

On parle souvent de la position privilégiée de Ceuta dans le détroit de Gibraltar, mais nous ne sommes pas vraiment conscients des opportunités que cela nous offre, entre autres parce que nous ne considérons que les routes maritimes et aériennes qui partent de Ceuta comme un moyen pour atteindre l'Europe, le seul territoire auquel certains pensent que nous « devrions » nous rapporter, mais qu'en est-il de l'Afrique?

Pendant des décennies Ceuta a utilisé la complexité des relations avec le Maroc pour justifier le manque d'intérêt à tenter un développement économique vers le sud, au-delà des échanges atypiques, et pire encore, elle n'a même pas voulu considérer les flux de personnes, grâce au développement du nord du Maroc, dans son urbanisme, de tel sort que celui-ci s'est développé comme si nous étions une île proche du continent européen et complètement éloignée de l'Afrique.

Contrairement à l'absence de stratégie territoriale et urbaine dans la ville, nous avons un pays, de l'autre côté de la frontière, qui élabore depuis deux décennies un plan visant à articuler ses propres territoires et à les insérer dans le continent africain, en utilisant un programme d'infrastructures comme base d'expansion à différentes échelles (nationale et continentale) et à de multiples niveaux (économique, politique, culturel, social...).

Concentrons-nous sur les infrastructures déjà réalisées, ou à venir, à proximité de Ceuta et qui pourraient avoir un impact, à la fois positif et négatif, dans notre ville.

 

 3. ports

En 2002 ont démarré les travaux de Tanger-Med, à seulement 23 kilomètres de Ceuta, un programme ambitieux qui ne se limite qu’à la construction d'un port mais de 4; 2 terminaux à conteneurs, un terminal passagers et un port militaire; plus la reconversion du vieux port de la ville de Tanger (qui à son tour a donné naissance à un nouveau port de pêche à côté du premier).

Chacun connaît l'importance du détroit dans le trafic mondial de conteneurs compte tenu de sa position géographique; Algésiras est le port méditerranéen avec le plus grand nombre de connexions directes de services de conteneurs avec d'autres ports, avec un total de 157, ce qui le place au 17e rang mondial 2020 et lui permet d'atteindre 107 millions de tonnes de marchandises acheminées et 5,1 millions de conteneurs (seulement dépassé en Espagne par Valence avec 5,4). Eh bien, Tanger-Med, après son entrée en service en 2007, a 137 connexions avec d'autres ports (au 26e rang mondial) et a déplacé 80 millions de tonnes de marchandises et a dépassé Algésiras et Valence en nombre de conteneurs; 5,7 millions. Ce positionnement global, et les possibilités de croissance est ce qui a conduit le Maroc à faire cet investissement, mais ce n'était pas le seul objectif, il tente aussi de devenir une référence pour le trafic avec une escale sur les côtes nord et ouest de l'Afrique pour devenir ainsi le premier port africain. Selon certains économistes, compte tenu de l'augmentation des investissements portuaires en Afrique, seuls quatre pourront devenir des centres logistiques portuaires continentaux et pointent vers Tanger-Med (Maroc) et Port-Saïd (Egypte) au nord, Djibouti (Djibouti) à l'est et Durban (Afrique du Sud) au sud. Les autres ports devront rivaliser au niveau régional et le Maroc veut également être un acteur important à ce niveau, en concurrence avec la Mauritanie, le Sénégal, le Togo, la Côte d'Ivoire et le Nigeria en Afrique de l'Ouest, dont ils terminent la rédaction du projet du nouveau port Dakhla Atlantique, qui servira également à générer un axe de communication terrestre reliant Tanger, Casablanca, Dakhla, Nouakchott et Dakar (infrastructures dont nous parlerons plus tard).

Pour le Maroc, il est évident que ce n'est que dans une perspective régionale et continentale que l'on pourrait penser à la nécessité pour Tanger d'être connecté à Dakar et ainsi pouvoir développer un rôle important à l'échelle mondiale, une mentalité qui naît de la conviction des possibilités offertes par l'emplacement d'une ville dans le détroit.

3.1 Ports et territoires

L'impact d'une infrastructure portuaire peut aussi être important à l'échelle régionale, si l'on analyse Tanger-Med, ce n'est pas qu'un échangeur de conteneurs, en réalité, il s’agit d’une gigantesque plateforme logistique et industrielle qui n'aurait eu de sens que dans son ensemble et non pas comme de simples actions spécifiques plus ou moins coordonnées, c'est-à-dire, tout ce qui a été construit, et ce qui reste à faire, répond à un plan stratégique qui a signifié un grand développement pour tout le pays et qui, il y a 20 ans, aurait été inimaginable. Parallèlement aux 4 ports mentionnés, des zones franches (industrielles et logistiques) ont été construites entre Tanger et Tétouan; Tanger-Med, Tanger Free Zone, Tanger Automotive City, Renault Tanger Med, Tetouan Park et Tetouan Shore. Domaines industriels du secteur automobile (Renault-Nissam), aéronautique (Daher, Siemens-Gamesa), agroalimentaire, électronique, textile et services. Afin de structurer toutes ces installations, il a fallu construire des autoroutes, des routes, des voies ferrées et même une ville nouvelle, Charafate, avec des industries, des logements, des universités et des centres de recherche qui fourniront des services aux zones franches. L'idée de Charafate (dont la réalisation est encore en cours) est de créer un pôle de compétitivité dans lequel s'associent industries, universités publiques et privées (avec leurs laboratoires de recherche) et établissements publics, à l'image et à la ressemblance de la Stratégie nationale de développement industriel et territorial lancée en 2005 par le Premier ministre français de l'époque, Dominique de Villepin.

L'émergence de ces nouveaux ports sur la côte tangeroise a entraîné un revirement dans le transport de marchandises et de passagers tant à Algésiras qu'à Ceuta. La première ville aura plus de facilité car elle est quasiment la seule alternative au trafic de passagers (les liaisons Tarifa-Tanger Ville et Gibraltar-Tanger Ville ne sont pas importantes du fait de leur volume) mais il devra concurrencer pour le trafic de conteneurs, notamment dans ceux de transit. Cependant, celle qui est perdante dans ce nouvel ordre maritime est la ville de Ceuta, qui a connu une baisse considérable du trafic de passagers au profit des ports de tangerois. En 2000, le port de Ceuta avait un trafic de 2.498.396 passagers et celui d'Algésiras, 4.270.600, alors que ce dernier a continué de croître, celui de Ceuta a diminué, ainsi en 2019, Ceuta avait 2.110.304 passagers et Algésiras 6.102.657 selon les statistiques de Ports de l'État (une des causes de cette diminution du nombre de passagers réside dans les blocages de la frontière terrestre dont on parlera plus tard).

Les effets de ce rééquilibrage économique dans les provinces de Tanger et de Tétouan les amènent à repenser des infrastructures déjà consolidées, comme l'aéroport Ibn Batuta de Tanger, pour lequel ils envisagent deux localisations possibles dans l'immédiat, l'une au sud de l'actuel, entre Arcila et Larache, et une autre près de Charafate, afin qu'il puisse desservir à la fois Tanger et Tétouan et éliminer ainsi les deux aéroports existants, générant à leur tour de nouvelles opportunités de réaménagement urbain dans les deux villes. Des opportunités dont Tanger a très bien profité pour réaménager son vieux port et l’intégrer à la ville puisqu'il n'y a que des mouillages pour les paquebots et pour le catamaran qui les relie à Tarifa, laissant le reste aux bateaux de plaisance (le pêcheurs ont été délocalisés dans un nouveau port à l'ouest de l'actuel).

évolution du port de Tanger

La clé pour tirer profit de la réorganisation portuaire était dans l'incorporation de son territoire dans le tissu urbain, en le traitant comme un nouveau quartier et non comme un port isolé de la ville, en effet, les autorités ont entamé en 2005 une réflexion transdisciplinaire sur le développement urbain de Tanger dont la ville avait besoin, sans tenir en compte des réglementations qui pourraient restreindre les propositions des équipes, en les complétant plus tard par une série de concours et de missions à des studios d'architecture (certains bien connus comme celui de Zaha Hadid), pour étudier les possibilités du port. Ces travaux ont été réalisés pour la candidature de l'Exposition Universelle de 2012 et dès le début les autorités ont clairement indiqué que Tanger soit choisi ou non, les projets susmentionnés seraient la base de la planification urbaine de la ville, un fait qui s'est confirmé puisque l'Exposition Universelle a finalement été organisée par la ville sud-coréenne de Yeosu et Tanger a réalisé la plus grande transformation urbaine de son histoire.

L'incorporation des terrains portuaires dans les zones urbaines a été le grande révulsif mis en pratique depuis la fin des années 1980 par des villes comme Vigo, La Corogne, Barcelone, Valence, Santander, Ferrol et Malaga. Si l'on observe l'augmentation de la superficie de certaines de ces villes grâce aux ports, on sera peut-être moins surpris par les implications qu'aurait une stratégie similaire à Ceuta, comme nous le verrons dans les prochains chapitres.

La coordination dans le développement de ces deux provinces du nord du Maroc aurait pu être encore plus fructueuse si elle avait opté pour la création, dès le départ, d'une aire métropolitaine, comme l'a proposé le ministère de l'Aménagement du territoire, de l'Eau et de l'Environnement en 2005, compte tenu de l'existence de Ceuta en tant que générateur de flux, qu'il y ait ou non une frontière. Face au refus de miser sur cette organisation territotiale par les agences urbaines de Tanger et de Tétouan, diverses initiatives ont été menées, comme celle que nous avons proposée depuis l'École Nationale d'Architecture de Tétouan en 2012, l'appelant Métropole Tingitane ou avec l'atelier Transitions métropolitaines: du projet à l'action en 2018 où se pose la nécessité de traiter le territoire en commun.

Aire métropolitaine Tanger-Tétouan selon le ministère de l'Aménagement du territoire

Aire métropolitaine Tanger-Tétouan selon le ministère de l'Aménagement du territoire

Alors que le Maroc génère depuis 20 ans des réflexions, des initiatives, des actions et des projets à de multiples échelles territoriales pour tirer parti des synergies de la région (dont Ceuta) et du positionnement géostratégique de villes comme Tanger et Tétouan, nous nous sommes consacrés uniquement à développer les travaux d'aménagement, ignorant à la fois le développement de notre voisin et les changements structurels dont nous avons vraiment besoin pour pouvoir sortir des crises, en nous appuyant sur notre condition de ville espagnole et européenne en Afrique.

 

 4. réseau routier

Nous avons vu l'importance de construire des routes pour relier une nouvelle installation portuaire telle que Tanger-Med au reste du pays, mais l'effort d'investissement du Maroc dans les routes ne se limite qu’au nouveau port, car jusqu'à présent il y a 1 839 km d'autoroutes en service (c'est le pays d'Afrique du Nord avec le plus de kilomètres construits) et son réseau routier est considéré comme le quatrième meilleur du continent après la Namibie, l'Égypte et le Rwanda, selon le rapport du Forum économique mondial.

Depuis l'achèvement de l'autoroute Fnideq-Tétouan, nous avons pu en profiter, surtout pendant les mois d'été avec l'augmentation de la population (et des embouteillages) sur la côte. La connexion entre Tanger-Med et l'autoroute Tanger-Rabat a été encore plus bénéfique, car à seulement 30 minutes de Ceuta, nous pouvons connecter avec le principal axe de communication du Maroc, qui atteint actuellement Agadir au sud et Oujda à l’est. Ainsi, les temps pour arriver en voiture à l'entrée des principales villes du pays depuis Ceuta seraient; Tanger (1h00 min); Rabat (2h40); Casablanca (3h25); Marrakech (5h25); Agadir (8h05); Fès (1h45 une fois construite l’autoroute Fès-Tétouan); Oujda (4h45).

En plus des autoroutes, il faut ajouter les routes appelées voies express, qui n'atteignent pas la considération des autoroutes mais conservent bon nombre de leurs caractéristiques (deux voies par sens, médiane impraticable et vitesse maximale de 100 km/h). Au cours de cette année, il devrait atteindre le chiffre de 2 073 km et cela permettra donner une continuité à l'axe atlantique dès Agadir jusqu’à la frontière avec la Mauritanie (l'état de construction est de 46%). Un axe qui, comme nous l'avons déjà vu, est extrêmement important pour renforcer le maillage des ports atlantiques, reliant Tanger à Casablanca et à Dakhla et pouvant ainsi rivaliser au niveau régional et continental avec le Sénégal, la Côte d'Ivoire et le Nigeria.

Les deux axes, nord-sud et est-ouest, ne se limitent pas à structurer le territoire marocain, ils visent aussi à les relier aux pays voisins, en créant un réseau continental, parrainé par l'Union du Maghreb et l'ONU, un programme qui peut ressembler aux grands projets de développement des infrastructures de transport des années 90 en Europe, qui ont représenté une révolution, tant sur le plan économique qu'en termes d'intégration sociale au niveau continental.

Quelles conséquences aurait ce réseau transafricain à Ceuta? Tout d’abord, cela nous rapprocherait des villes algériennes d'Oran (6h) et d'Alger (10h15, c'est le temps qu'il faut pour aller de Ceuta à Ouarzazate, par exemple), tant que le Maroc et l'Algérie décident de ouvrir leurs frontières terrestres (revendication qui a intensifié le roi Alaouite ces dernières années). Est-ce que cela aurait vraiment du sens de penser à un flux entre Ceuta et Oran, par exemple? Il faut considérer que pour se rendre dans la Péninsule depuis Oran il existe des liaisons maritimes avec Almeria (9h de trajet) mais surtout avec Alicante (13h), compte tenu de la durée de la traversée et de son prix, il serait plus rapide, et moins cher, d'aller en voiture jusqu'à Ceuta ou Tanger et traverser le détroit, pouvant également visiter des villes comme Fès, Meknès et Tétouan en chemin, c'est-à-dire, ce serait un itinéraire suggestif et cela signifierait un nouveau flux de passagers et de touristes pour la ville qu'il faudrait prendre en compte dans le dimensionnement de nos infrastructures de transport internes et externes.

 

 5. chemins de fer

Depuis l'inauguration en 1992 de la première ligne à grande vitesse entre Madrid et Séville, nous avons vu l'impact que l'AVE a eu sur le reste des régions avec la mise en service de nouvelles lignes (comme cela s'est produit en France des années auparavant), non seulement en déplaçant l'avion sur certaines routes, mais aussi en redynamisant les villes situées à la périphérie des grandes villes comme Madrid. Lorsque le roi du Maroc a annoncé en 2011 la construction de la première LGV (Ligne à Grande Vitesse) très peu de gens lui ont donné de la crédibilité, cependant en novembre 2018, la ligne Tanger-Kénitra est devenue la première de ses caractéristiques sur le continent. Il est vrai qu'il y a eu beaucoup de polémiques en raison du coût élevé des travaux, ayant d'autres besoins plus importants à couvrir dans le pays (certains ont dit), mais ce type d’infrastructure, tel que nous avons vu en France et en Espagne, lorsque son aménagement correspond à critères techniques et d'exploitation, elle ne peut être valorisée uniquement en termes de travaux publics, puisque l'impact économique peut avoir une portée macro-économique. De plus, dès le départ le modèle économique d'exploitation de la ligne était plus proche du français que de l'espagnol, ce qui impliquait des prix plus abordables. Ainsi, tandis que le trajet en bus entre Tanger et Rabat coûte 115 Dh (10,85 €) et une durée de 3h35 avec la CTM (principale compagnie de transport routier de passagers), le train Al-Boraq peut arriver à coûter 143 Dh (13,50 €) et cela prend 1h20 (lorsque le tronçon entre Kénitra et Rabat permettra des vitesses élevées, le temps sera de 55 minutes). Le succès a été tel que les projets et travaux du programme Plan Rail Maroc 2040 ont été accélérés. Actuellement, ils travaillent sur la ligne entre Kénitra et Casablanca afin que le train puisse circuler à grande vitesse (maintenant il passe à des vitesses conventionnelles) et bientôt les travaux entre Casablanca et Marrakech commenceront. Parallèlement, le Roi a demandé en 2019 d'entamer la rédaction du projet pour la liaison Marrakech-Agadir, qui devrait entrer en service avant 2030 et qui placerait les deux villes à 1h, au lieu des 2h30 en voiture (il faut savoir que l'infrastructure ferroviaire n'atteint pas Agadir et qu’il s’agira pourtant d’une nouvelle ligne).

Quant à l'axe est-ouest, la construction de la ligne LGV entre Rabat et Oujda est prévue. Cet axe a un double objectif, rapprocher la région de l'Oriental, historiquement déconnectée des centres économiques et politiques du pays, et ce qui est plus important, relier le Maroc à un réseau à grande vitesse avec l'Algérie, la Tunisie et la Libye.

Depuis des années, une commission dans laquelle ces 4 pays sont représentés se réunit annuellement pour évaluer le développement de leurs réseaux respectifs, dans le but de coordonner la mise en service d'une ligne à grande vitesse transmaghrébine qui relie Rabat à Alger, Tunis et Tripoli. Il est clair que la Libye a des problèmes plus importants à résoudre en ce moment, mais il est frappant de constater que deux pays voisins, qui ont maintenu leurs frontières terrestres fermées pendant plus de 27 ans, sont en mesure de travailler ensemble sur des infrastructures clés pour le développement de chaque pays, la région nord-africaine et le continent (réseau auquel s'ajoute le réseau routier déjà évoqué).

Dans l’avenir (pas trop lointain), les délais pour rejoindre les principales villes marocaines depuis la gare Tanger-Ville (à 55 minutes en voiture de notre frontière) seraient: Rabat 1h05 (actuellement 1h20); Casablanca 1h30 (maintenant 2h10); Marrakech 2h25 (maintenant 5h14); Agadir 3h15 (il n'y a pas de voie ferrée vers Agadir); Fès 2h00 (maintenant 3h15); Oujda 3h05 (10h37 aujourd'hui). Et pour se rendre en Algérie: Oran (4h00); Alger (5h50).

Revenons à l'hypothèse de si un touriste oranais pourrait choisir pour rejoindre la Péninsule, au lieu d'une traversée en mer de 13h, un trajet en train de 4h (Oran-Tanger) puis un autre de 1h en bateau (Tanger Ville-Tarifa). Ils pourraient aussi décider de passer par Ceuta et de découvrir notre ville, bien que la nécessité de se rendre à la frontière et de la traverser rendrait cette hypothèse moins probable. C'est pourquoi, en 2006, lorsque Tanger a commencé à travailler sur un plan stratégique (Tanger 2012) avec l’incorporation de la grande vitesse, j'ai proposé aux présidente de la Ville de Ceuta de montrer à Madrid et à Bruxelles l'intérêt que nous aurions à voir arriver cette ligne, pas nécessairement à la frontière, mais au moins jusqu'à Tanger-Med, tant qu'il y avait des financements européens (finalement c'est le gouvernement français qui a financé la plupart des travaux). La réponse du président a été celle d'habitude, il ne méritait pas de faire ces démarches car le Maroc n'aurait jamais de trains à grande vitesse...

 

 6. aéroports

Le transport aérien à Ceuta s'est considérablement amélioré depuis la création de la compagnie Helity en 2017, en plus d'offrir des vols avec Algésiras et Malaga, elle a essayé d'établir de nouveaux itinéraires, avec Melilla et à l'avenir avec Gibraltar-Malaga et Algésiras-Tanger. Ce dynamisme est toujours bon pour la ville, mais ce ne sont pas les seules offres de transport aérien disponibles à Ceuta.

A seulement 35 km de la frontière (30 minutes en voiture), nous avons l'aéroport de Tétouan, qui en plus de proposer des vols intérieurs, a des liaisons avec des aéroports européens (bien que majoritaires à certaines périodes de l'année) comme Marseille, Toulouse, Bordeaux, Lille, Mulhouse, Metz, Malaga, Bruxelles, Liège, Londres...

L'aéroport actuel de Tanger est à 82 km de la frontière (1h05 en voiture) et de là, les destinations et la fréquence augmentent considérablement; Madrid, Barcelone, Valence, Séville, Paris, Bruxelles, Toulouse, Marseille, Montpellier, Nantes, Bordeaux, Lyon, Amsterdam, Rotterdam, Cologne, Francfort, Milan... Compte tenu du fait que les grands aéroports européens sont situés à une distance du centre de leurs villes comprise entre 40 et 75 minutes, on peut dire que Ceuta a la chance d'avoir un héliport et trois aéroports dans sa "zone métropolitaine", car on ne peut oublier Gibraltar (également à 40 minutes de Ceuta si l’on utilise le hélicoptère jusqu’à Algésiras) qui a généralement comme destinations Londres, Bristol, Manchester, Southampton, Birmingham, Edimbourg, Las Palmas de Gran Canaria et a même eu des vols avec Madrid. Selon les offres, il peut être plus rentable, en temps et en argent, de se rendre à Madrid via Tanger que depuis Malaga, sans l'inconvénient de dépendre des tempêtes dans le détroit, bien que, ces dernières années, à l'ensemble des impondérables, nous avons dû ajouter les blocages à la frontière, pour cette raison Tanger n'était plus une alternative, du moins pour se rendre à l'aéroport en voiture (peut-être en taxi après avoir traversé la frontière à pied).

Avoir différentes options pour quitter la ville affecte toujours la qualité de vie et les possibilités de développement des affaires, tant dans la ville qu'à l'extérieur, une situation qui pourrait encore s'améliorer si le Maroc décidait enfin de construire le nouvel aéroport de Tanger-Tétouan près de Melloussa, pour desservir les plateformes logistiques créées autour de Tanger-Med. Le nouvel aéroport pourrait être à seulement 60 km de Ceuta (55 minutes en voiture), et pourrait être réduit à 45 minutes lorsque l'autoroute Tétouan-Tanger sera exécutée.

Mais si l'on passe à l'échelle continentale, la situation de Ceuta s'en trouve considérablement renforcée. Si l’on veut voyager sans escales entre l’Espagne et l’Afrique, (sans tenir en compte les pays du Maghreb; le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’Egypte), nous avons seulement l’aéroport de Madrid qui offre des vols directs avec Dakar (Sénégal), Addis-Abeba (Éthiopie) et Malabo (Guinée Équatoriale). Cependant, si l'on regarde les destinations directes depuis l'aéroport de Casablanca, il s'avère qu'il y en a 25 (sans compter les liaisons avec les pays d'Afrique du Nord). L'aéroport Mohamed V est à 4h10 minutes de la frontière de en voiture (3h en train depuis Tanger quand la grande vitesse arrive à Casablanca), cela signifie que depuis Ceuta nous pouvons rejoindre directement 30 des 54 pays de notre continent. Il n'y a pas d’autre ville espagnole avec autant de connexions. Certains peuvent se demander ce que quelqu’un de Ceuta pourrait faire dans la plupart de ces pays, mais dans le domaine de la construction, des nombreux architectes, constructeurs et investisseurs marocains, qui grâce à cette facilité de déplacement rapide travaillent dans toute l'Afrique, notamment dans les pays en développement, de même que des secteurs comme la finance et les télécommunications. En d'autres termes, il ne serait pas très difficile pour Ceuta de devenir une base de services européenne en Afrique, tant que nous sommes conscients de nos opportunités et que nous parions sur elles.

Nous pouvons encore analyser le transport aérien à une échelle intercontinentale puisque l’objectif de Royal Air Maroc (RAM) est celui de devenir la première compagnie aérienne de l’Afrique, en profitant le positionnement géographique du Maroc, que lui permet de connecter l’Afrique avec l’Europe, l’Amérique et le Moyen Orient. En volume de passagers, la RAM comptait 7,3 millions en 2018 et n'a été dépassée que par Ethiopian Airlines (11,5 millions) et Egypt Air (8,7 millions). Ces liaisons, et les données qu'elles fournissent, ont un impact direct sur Ceuta car si l'on veut se rendre aux États-Unis, il n'est plus nécessaire de se rendre à Madrid (ce qui implique un voyage en hélicoptère et un autre en train ou en avion, c'est-à-dire un jour de voyage en plus) car nous avons des vols directs depuis Casablanca vers New York et Boston, comme j'ai pu le vérifier en septembre 2019. La même chose se produirait si nous avions des affaires au Qatar (ou aux Emirats Arabes Unis) car ce serait plus rapide, et moins cher, de passer par Casablanca, comme j'ai pu le vérifier également en 2010.

 

 7. conclusions préliminaires

En ce qui concerne la position privilégiée de Ceuta, nous ne savons pas vraiment ce que cela signifie. Certains peuvent faire référence au paysage, à la proximité de l'Europe, aux mers qui baignent nos côtes... Si l'on parle d'un point de vue géostratégique et économique, une position privilégiée a d'autres nuances, à la fois macro et microéconomiques et nécessite des analyses et des propositions à des échelles très différentes. Malheureusement à Ceuta, nous nous limitons à une échelle locale et même les analyses et propositions minimales nécessaires ne sont pas faites, ce qui nous conduit à de mauvaises décisions et à des investissements peu rentables.

On pourrait penser que ce réseau d'infrastructures africaines est une simple utopie et qu'il ne sera jamais réalisé en raison des multiples conflits que subissent dans pas mal de pays, problèmes qui découlent souvent précisément de la précarité de leurs réseaux de communication et de l'isolement de leurs territoires, empêchant le développement de leurs économies (comme cela nous arrive justement). Eh bien, alors que certains dirigeants se méfient de cette évolution, d'autres y parient, malgré l'incertitude de ce que va faire le voisin; ce qui se passe entre le Maroc et l'Algérie. En fin de compte, c'est comme s'ils agissaient au sein d'une véritable “union des pays du Maghreb”, mais sans avoir consolidé et développé ladite association commerciale et même politique (comme le font les pays européens).

En tout cas, il ne faut pas oublier que ce réseau de communication terrestre fonctionne, au moins, depuis le 6ème siècle, date jusqu'à laquelle les archéologues ont pu démontrer qu'il existait un commerce caravanier entre les rives nord et sud du Sahara.

Pour traverser le désert dans le passé, il n'était pas nécessaire d'avoir une technologie aussi complexe que celle que l'Espagne a développée dans l'AVE à La Mecque, mais ils ont dû réaliser des travaux d'ingénierie hydraulique (qui étaient pionniers à leur époque) pour amener l'eau jusqu'aux points intermédiaires du parcours.

Le commerce caravanier ne se limitait pas au transport de marchandises entre les confins des régions désertiques mais constituait (comme les font aujourd'hui les routes et les chemins de fer en Europe) tout un réseau de transport entre le Sahel et les pays du Maghreb, et de ceux-ci avec l'Europe, le Moyen-Orient et l’Asie. Un réseau de transport dont les flux étaient également affectés par des conflits régionaux ou continentaux, et où les ports méditerranéens avaient les mêmes fonctions que les « ports sahariens », permettant de se reposer, d'approvisionner et de se connecter avec différentes destinations (aujourd'hui les connexions directes des ports continuent d'être une donnée importante pour grimper des positions dans les classifications du transport maritime). Si le contrôle des lieux de passage stratégiques était perdu, les routes qui le traversaient l'étaient également, générant de grandes pertes, d'où la nécessité, de la part des différentes dynasties, de contrôler les principales routes terrestres et maritimes.

Comme on peut le voir sur la carte des routes caravanières, une recherche que nous menons dans le cadre de Project Qafila, notre ville n'y apparaît pas seulement, mais a également joué un rôle fondamental dans le commerce à l'échelle continentale depuis la dynastie des Almoravides compte tenu de sa position dans le détroit de Gibraltar, permettant des marchandises en provenance du Mali (notamment de Tombouctou) et de la Mauritanie (de la région d'Adrar) d’atteindre l'Europe en traversant le détroit. Ce réseau fonctionnait comme un système de vases communicants et lorsqu'une route était bloquée, la marchandise était redistribuée et détournée vers d'autres points, provoquant de grands changements et des crises dans les régions touchées, comme cela était évident au 16ème siècle. Pendant une longue période, les conflits en Méditerranée causés par les corsaires et par l'expansion de l'empire ottoman, ont créé une telle incertitude que pour éviter les risques, les marchands ont décidé de changer les ports méditerranéens pour ceux de l'Atlantique pour livrer des marchandises, en utilisant principalement des ports sous contrôle portugais, grâce à l'expansion commencée à Ceuta en 1415 et qui leur a permis d'établir une route maritime (militaire et commerciale) vers Macao en Chine, obtenant une grande puissance économique et militaire.

Bref, le développement et la maîtrise des infrastructures de communication à différentes échelles (régionale et continentale) a permis aux différentes dynasties et empires d'exercer le pouvoir à travers l'histoire, ce fait est encore évident aujourd'hui comme nous l'avons vu avec les différentes infrastructures que le Maroc exécute, sous le même objectif, devenir une puissance africaine et devenir une référence pour les pays africains en développement, en profitant des prévisions de croissance qui placent notre continent comme la zone où l'économie va connaître la plus forte croissance (tant que les réformes nécessaires sont entreprises) et plaçant la région subsaharienne comme la plus dynamique en taux de croissance en 2030 en raison de l'augmentation de sa population.

 

 8. Ceuta et son africaneité

Il est possible que tout ce qui a été expliqué jusqu'ici produise de l'indifférence chez les citoyens de Ceuta, où une partie importante de la population continue de voir le Maroc uniquement comme un lieu de tourisme ou bien comme un pays frontalier où l’on peut profiter des inégalités (par exemple main-d'œuvre ou produits alimentaires moins chers). Cette limitation dans la compréhension et dans les implications que l'évolution de notre environnement a, nous empêche de voir les multiples opportunités que nous offrent toutes ces infrastructures (à coût zéro pour nos budgets) pour devenir une véritable plateforme de services européens en Afrique. Cette méconnaissance, ou ce désintérêt, nous amène à traiter des problèmes locaux pour autant qu'ils puissent être résolus dans un court laps de temps (celui qui va d'une élection à l'autre), laissant de côté des investissements à moyen ou long terme qui devraient être une priorité pour notre avenir et que les administrations locales et étatiques devraient entreprendre de manière coordonnée et consensuelle.

Si nous voulons que le Maroc et l'Afrique deviennent une opportunité pour le développement de notre ville dans des aspects tels que l'économie, la sécurité, l'éducation, la culture ou la recherche scientifique, nous devons changer radicalement notre vision de deux infrastructures clés, de tel sort que si elles ne sont complètement réformées, elles condamneront la ville à l'agonie ou à une subvention pérenne.

8.1 port et espaces maritimes

Une stratégie portuaire ne doit pas viser à concurrencer Algésiras et Tanger, compte tenu de notre petite taille, mais à les compléter en offrant des services qui peuvent nous différencier, compte tenu de nos possibilités à l'échelle régionale (le détroit de Gibraltar) ou mondiale. Une attitude similaire a été celle adoptée par Malaga lorsqu'elle a commencé à travailler sur un plan stratégique comme instrument pour développer une ville qui avait pris du retard sur l'Andalousie, des réflexions au cours desquelles ils ont réalisé qu'ils ne pouvaient pas rivaliser dans le tourisme avec Séville ou Grenade, n'ayant pas un patrimoine aussi riche, étendu et unique, ils ont donc dû miser, parmi de multiples mesures, sur la culture, une décision risquée qui est devenue un catalyseur pour de nombreux secteurs économiques, donnant lieu à une sorte de renaissance de la ville d’un point de vue urbain, immobilier, tourisme, affaires, culture...

Quels que soient les services que notre port pourra fournir à l'avenir (pour lesquels il sera nécessaire compter avec un groupe d'experts en ressources portuaires et géographiques), il sera inévitable de réfléchir à différents niveaux, car il ne s'agit pas seulement de penser à l'extension des infrastructures portuaires, il faudra tenir en compte leur relation avec la ville, avec le détroit de Gibraltar, avec la Méditerranée et avec le continent africain.

Quant à la ville, un changement complet de mentalité sera nécessaire dans la réflexion sur notre urbanisme. On ne peut pas continuer à penser un territoire défini exclusivement par les limites maritimes terrestres actuelles, il faut considérer l'espace maritime qui nous entoure comme susceptible de devenir un espace terrestre. La délimitation des eaux territoriales, les niveaux de la bathymétrie (tant dans la baie sud que dans le nord) et les conditions environnementales, notamment Patella ferruginea (une espèce endémique en danger d'extinction), seront les principaux facteurs déterminants dans la réflexion sur nos futurs limites urbains.

Peut-être serait-il plus pertinent d'utiliser une autre terminologie puisque certains espaces maritimes doivent être intégrés au tissu urbain en raison de l'existence de la douve et de la protection de la Patella ferruginea, une espèce qui colonise les brise-lames et qui pourrait être démantelée pour les déplacer, dans les mêmes conditions, vers d'autres endroits, mais il faudra étudier ceux qui valent la peine d'être déplacés et ceux qu'il faudra conserver, cela signifie que nous ne pourrons pas gagner du terrain en déplaçant simplement la ligne côtière sur la mer, comme le ferait instinctivement un ingénieur, mais il faudra garder des zones maritimes à l'intérieur de cette nouveau limite maritime-terrestre.

D'autre part, la possible extension du port augmentera la disproportion entre terrain urbain et terrain portuaire, au risque de devenir un port avec une ville (que l'on pourrait appeler dortoir) au lieu d'une ville avec un port. Le plus simple serait de désaffecter les terrains les plus proches du tissu urbain, comme cela a été fait avec la partie basse de la Marina et avec le Dédoublement du Paseo de la Palmeras, et de continuer à maintenir l'indépendance de la zone portuaire dès un point de vue urbain. Cependant, si une nouvelle infrastructure portuaire est construite, ou l'actuelle est agrandie, elle devra être planifiée en même temps que la ville, pour laquelle nous devrons nous doter d'instruments juridiques puisque les actuels ne le permettraient pas.

Pendant des années, la ville s'est vu confier à l'instrument d'urbanisme prévu par le texte consolidé de la loi foncière de 1976, le Plan Général d'Aménagement Urbain (PGOU), qui était peut-être idéal dans les années 80 et 90 du siècle passé, mais qui aujourd'hui est insuffisant pour apporter des réponses aux enjeux de la ville. Indépendamment de la gestion désastreuse menée par l'administration locale, incapable de réviser un PGOU en vigueur depuis 1992 et qui aurait dû être révisé en 2000, la vérité est que l'approbation du nouveau document dans les prochains mois (ou années) ne servira qu’à mettre au propre toutes les modifications réalisées au cours des 29 dernières années sur le PGOU du 1992 et à revoir certains paramètres, mais il n'apportera pas de solutions aux problèmes actuels ou futurs. Face à cette situation, la priorité numéro un de nos autorités devrait être l'élaboration d'une loi sur la gestion foncière de Ceuta (ou plutôt une loi sur l’aménagement du territoire intégrale), que nous essayons de promouvoir depuis l'Ordre Officiel des Architectes de Ceuta, et qui pourrait résoudre le vide juridique causé par l'abrogation du texte consolidé de la loi sur la réhabilitation foncière et urbaine de 2015, après avoir enfreint les compétences régionales sur les matières foncières, à l'exception de Ceuta et Melilla, qui n'ont pas de capacité législative et pourtant avaient besoin de cette loi de 2015. Une loi spécifique pour Ceuta nous fournirait des instruments juridiques pour entreprendre et gérer la réforme en profondeur de l'urbanisme et ainsi être en mesure de s'adapter aux changements qui se produisent, à la fois dans la ville elle-même et dans notre environnement (y compris de nouvelles lois, telles que celle du changement climatique et transition énergétique). L'un des articles importants serait la création d'une figure de planification supérieure au PGOU et qui pourrait s'appuyer sur les Schémas Directeurs de Coordination Territoriale, qui sont déjà inclus dans nos réglementations étatiques actuelles et qui sont proposés pour coordonner les actions entre deux communes, non pas dans la même commune qui est notre cas. Le Schéma Directeur Territorial de Ceuta nous permettrait de traiter de manière unifiée notre espace terrestre, portuaire et maritime, ce qui ouvrirait la possibilité de planifier la manière dont nous gagnerons des terrains sur la mer et d'intégrer des usages que la législation actuelle ne permet pas, ce qui implique aussi des modifications dans d'autres lois qui n'incluraient pas une telle spécificité pour la ville, comme la loi 2/2013, du 29 mai, sur la protection et l'utilisation durable du littoral et la modification de la loi littoral 22/1988, de juillet 28, dont les seules références aux terrains gagnés sur la mer figurent aux articles 4 et 9:

 

article 4:
Font également partie du domaine public maritime-terrestre de l'Etat:

2. Terrains gagnés sur la mer comme conséquence directe ou indirecte des travaux, et celles asséchées sur son rivage.

article 9

1. Il ne peut y avoir des terrains appartenants à une autre propriété que celle de l'État dans aucune des propriétés du domaine public maritime-terrestre, pas même s'il s'agit de terrains gagnés sur la mer ou séchées sur son rivage, sans préjudice des dispositions de l'article 49.

 

Cet article a été conçu pour empêcher la spéculation à travers des projets urbains dans les villes côtières qui ont utilisé la construction privée de marinas comme prétexte pour développer des hébergements touristiques sur des terrains gagnés sur la mer. Dans notre cas, il ne s'agit que d'agrandir le port existant ou de construire un port de plaisance dans la baie sud, il s'agit directement de construire une ville sur la mer pour pallier les déficits de terrains et d'espaces verts en général, et résoudre les problèmes structurels de nombreux quartiers de la ville (pour lesquels un financement public-privé sera nécessaire), mais avec la loi actuelle ce type d'approche ne serait pas possible.

8.2 frontière

Si l’on veut mettre en place une stratégie pour profiter des infrastructures du pays voisin afin que les entreprises et les auto-entrepreneurs puissent étendre ou développer leurs activités sur le continent africain, la condition sine qua non pour pouvoir le réaliser serait le «bon fonctionnement» de la frontière.

Au cours des dernières années, nous avons vu comment nous sommes passés d'avoir des blocages à la frontière seulement certains jours de la semaine et à certains moments, à des blocages pratiquement tous les jours. Dans le premier cas, les déplacements pourraient s’adapter à des horaires moins problématiques, faisant de la frontière davantage un poste de péage sur une autoroute. Avec une frontière fluide, garder un emploi à l'université marocaine, dans une entreprise ou faire des affaires n'était pas un problème, tout comme les relations familières, amicales ou culturelles. Cependant, lorsque les blocages ont commencé à être spontanés, à n'importe quelle heure et n'importe quel jour de la semaine, l'incertitude est devenue une barrière infranchissable, provoquant un isolement difficilement perceptible mais qui était présent. Telle était la situation avant mars 2020.

Nous n'allons pas analyser les causes des problèmes frontaliers, car ils sont très complexes, mais nous pouvons affirmer qu'ils n'ont pas été causés exclusivement par la contrebande (à pied ou en voiture) ou par la police marocaine; Il faut également ajouter l'insuffisance de personnel du côté espagnol (Police nationale et Garde civile) à certains moments de la journée et peut-être le plus important, et auquel nous allons nous arrêter, le manque d'espace physique.

Tandis que les autres variables ne dépendent pas des décisions des autorités de Ceuta, l'expansion des installations pourrait être une compétence de l’administration locale si jamais elle avait la capacité d’intervenir dès un point de vue de l’aménagement en dehors des limites terrestres maritimes, pour cela il faudra, comme nous avons déjà évoqué, une loi foncier spécifique pour Ceuta. Si l'on veut que notre frontière ait la capacité d'accueillir un volume important de véhicules et de personnes avec une relative fluidité, elle devra multiplier considérablement sa surface et pas seulement pour les aménagements eux-mêmes, notamment pour canaliser et bien organiser les flux et les usages complémentaires avant arriver à la frontière. Une expansion complexe si l'on s'en tient au terrain actuel, même impossible, conditionnée par les limites maritimes-terrestres et par l'orographie.

Comme pour le port, on peut gagner du terrain sur la mer en déplaçant simplement le littoral pour obtenir la surface nécessaire ou bien on peut le faire de manière intelligente, en créant trois nouveaux littoraux au lieu d'un. Cette extension, séparée de la côte, permettrait de fournir des services à la fois à la frontière et aux quartiers voisins (Príncipe Felipe, Príncipe Alfonso, Almadraba-Tarajal, Miramar Bajo, Miramar Alto, Juan XXIII et Loma Colmenar), en résolvant leurs déficiences structurelles et presque impossibles de régler à cause de leur densités actuelles. Pour que l'opération urbaine soit rentable et fonctionnelle sur le long terme, elle ne pourrait pas se réduire à une extension minimale, mais à un nouveau quartier.

Nous avons évoqué les flux comme facteur déterminant lorsqu'il s'agit de quantifier les surfaces nécessaires pour améliorer la frontière, ses accès et les quartiers avoisinants, mais nous nous tromperons si nous ne quantifions que la population de Ceuta qui pourrait être intéressée à la traverser, c'est là qu'il faut analyser l'impact possible que les nouvelles infrastructures marocaines pourraient avoir sur notre ville, et qui ne se limitent pas aux touristes ou travailleurs marocains qui vivent dans la province contiguë de Tétouan, mais à l'ensemble du Maghreb, c'est-à-dire, à notre région continentale. Si l'on se souvient des réseaux routier et ferroviaire qui relieront le Maroc et l'Algérie (une fois les frontières terrestres rouvertes), on parle d'avoir la deuxième ville d'Algérie, avec une population dans son aire métropolitaine de près de deux millions d'habitants à seulement 4 heures de Tanger en TGV et 7h en voiture. En fonction du temps qu'il faut pour franchir la frontière et des facilités dont ils disposeront pour embarquer et faire la traversée, ils décideront de le faire via Ceuta ou Tanger-Med (distant de 25 minutes en voiture). On pourrait penser que cette hypothèse est une utopie, mais en 2006 on croyait non plus à la construction de la Grande Vitesse au Maroc. N'oublions pas non plus les Marocains des capitales administratives et économiques qui, il n'y a pas si longtemps, se déplaçaient à Ceuta, juste un jour, pour acheter pendant les soldes et qui ont cessé de le faire car il fallait plus de temps pour traverser la frontière que pour l'atteindre depuis Rabat (3h) et Casablanca (4h).

Il faudra réaliser une étude socio-économique pour voir quel pourrait être le flux de Marocains et d'Algériens qui pourraient passer la frontière une fois toutes les infrastructures précitées mises en service mais il ne serait pas déraisonnable d'envisager un trafic même plus important que celui des dernières années avec la contrebande (à pied et en voiture), et qui a causé l'effondrement de la frontière et de notre économie à cause des blocages. Autrement dit, malgré la suppression des échanges atypiques, la frontière restera insuffisante dans sa configuration actuelle.

8.3 port-ville-frontière

Compte tenu des besoins fondamentaux de Ceuta, en termes de port et de frontière, ainsi que des difficultés orographiques (terrestres et maritimes) et des singularités de l'environnement physique et naturel, une future extension de la ville pourrait être envisagée en ces termes.

Dans tous les cas, la Ville devrait organiser un concours d'architecture (pas d'urbanisme) dans lequel elle examinera ce que Ceuta pourrait devenir en 2070, en utilisant ensuite l'idée ou les idées choisies pour établir une stratégie d'aménagement du territoire (comme cela a été fait dans les années 1930) et la législation sur l'urbanisme conformément aux solutions proposées, une demande que nous avons également incluse dans le document EL COACE ANTE LA(s) CRISIS.

 

 9. territoire et réalité

Tout ce qui a été dit jusqu'à présent est lié à un fonctionnement « normal » de la frontière, ce qui n'est pas arrivé en 2020 ou 2021 à cause de la pandémie, non plus les années précédentes avec les blocages intermittents causés par la contrebande. Comme si cela ne suffisait pas, à Ceuta, nous subissons constamment les conséquences du manque de confiance et de compréhension entre Rabat et Madrid, qui se traduit parfois par des incidents dans les poste frontaliers du Tarajal et de Benzú. Depuis notre ville, nous devons nous efforcer d'expliquer au gouvernement central l'importance que cette connexion terrestre avec l'Afrique pourrait avoir pour les intérêts de Ceuta et de l'Espagne, nécessitant un investissement conforme à sa fonction, la porte d'entrée de l'Afrique pour les entrepreneurs espagnols et pas un simple passage de frontière pour la ville de Ceuta.

En revanche, que se passerait-il si le Maroc continue de maintenir la frontière fermée après la suppression des états d'alerte sanitaire ou l'ouvre par intermittence comme instrument pour faire pression sur les futures négociations? Malheureusement, cette option est une possibilité réelle puisque la pandémie a montré qu'une frontière fermée ne signifiait pas la fin du monde, ni pour les autorités marocaines, qui craignaient la réaction des frontaliers, ni pour beaucoup de gens de Ceuta dont le seul lien avec Le voisin c'était justement ces travailleurs; encore moins pour un autre grand groupe qui imputait tous les problèmes locaux au voisin et qui préférerait que la frontière reste fermée à jamais.

Face à l'incertitude et face à la forte probabilité que nous soyons isolés par voie terrestre, quelles stratégies de développement devrions-nous mettre en œuvre?

Dans des situations extrêmes, comme celle dans laquelle nous vivons actuellement, nous ne pouvons pas adopter une attitude victimaire et demander à Madrid de nous sortir de cette situation pendant que nous nous consacrons à nous lamenter et à ne rien faire. Ce que nous devons faire, c'est chercher des solutions par nos propres moyens, ce n'est qu'alors que nous pourrons nous développer. A cet effet, il serait très utile de réaliser un exercice théorique, j'insiste sur le fait que ce n'est pas une demande, simplement pour établir une hypothèse qui nous oblige à réfléchir à comment tirer parti de nos ressources, qui sont rares mais existent. Imaginons que Ceuta soit une île située dans l'océan Atlantique, à mi-chemin entre l'Europe et l'Amérique, c'est-à-dire que nous n'aurions pas une proximité avec un continent qui nous assurerait un «ravitaillement» dans tous les sens (économique, sécuritaire, administratif, législatif…). Fixons un autre niveau de difficulté; Considérons que Ceuta est un territoire autonome et qu'il n'est associé à aucun pays, c'est-à-dire que nous n'allons pas recevoir de l'aide ni de l’Espagne ni de l’Union européenne pour pouvoir desservir une population de 84 000 personnes. Dans de telles circonstances, une société comme la notre d'aujourd'hui serait-elle viable?

Ce ne sera pas dans ce court texte que seront proposées des stratégies pour cette hypothèse, mais il conviendrait de montrer un exemple avec l'un des secteurs essentiels pour le fonctionnement et subsistance d'une ville; l'énergétique. Depuis la mise en service de la centrale thermique en 1980, on nous a dit que nous n'avions pas d'autre alternative et qu'il fallait donc se contenter d'une centrale diesel très polluante et extrêmement chère. Avec la politique mise en place par l'Union européenne pour lutter contre le changement climatique, en misant sur les énergies renouvelables, la seule alternative proposée par le gouvernement local et central a été le câble sous-marin, qui devrait vraiment être une source complémentaire, mais pas la seule, puisqu’il y a d'autres options qui ne nous obligeraient pas à continuer à dépendre de la péninsule. Dans cette même publication, il y a un autre article, Ceuta et l'autosuffisance énergétique, dans lequel l'hypothèse a été soulevée de savoir si nous pourrions générer toute l'énergie dont nous avons besoin grâce aux énergies renouvelables pour pouvoir réaliser la décarbonisation de Ceuta en 2040. Le résultat est affirmatif et montre, à mon avis, l'attitude que nous devrions avoir pour atteindre également l'autosuffisance dans les aspects législatifs, juridictionnels, économiques, éducatifs, sociaux, culturels... Penser par nous-mêmes comme si personne n'allait nous aider, car une fois les solutions sont trouvées, et planifiées, il sera beaucoup plus facile de les réclamer au gouvernement central et même à la Commission européenne, tant qu'il n'y aura pas de préjugés et de craintes d'approches a priori atypiques.

 

 10. épilogue

Notre avenir doit passer par la mise à profit de notre intégration à l'Afrique malgré toutes les difficultés d'avoir le Maroc comme voisin (qui nous réclame aussi et ne cessera de le faire). Cela nous obligera à déployer une stratégie diplomatique complexe et intelligente au niveau national, mais aussi une autre, en parallèle, au niveau transfrontalier; en matière culturelle, sociale, éducative, commerciale... Dans ce second cas, c'est nous, Ceuta, qui aurons l'obligation de déployer et d'établir tout un réseau de contacts, plus personnels et loin des aléas politiques et diplomatiques, qui d'une certaine manière, certains d'entre nous avons développé au fil des ans, montrant leur viabilité et leur utilité. Nous devrons adapter nos plans d'éducation, de formation et d'entreprise de telle sorte que nous soyons capables d'inculquer, ou plutôt de récupérer, une attitude entrepreneuriale qui ne se limite pas exclusivement à l'Europe, mais vers l'Afrique.

Or, cette stratégie transfrontalière et transafricaine ne sera pas possible si nous ne disposons pas d'un passage frontalier fluide, capable d'absorber les flux qui vont se produire sur le long terme, même si pendant des années cette infrastructure reste surdimensionnée. Le port doit être rigoureusement planifié et toujours en tenant compte de critères stratégiques qui nous permettent de nous positionner à l'international, mais comme partie intégrante de la ville, et non comme un espace indépendant.

Si nous ne prenons pas de mesures urgentes et radicales, nous devrons nous résigner à une situation d'isolement (comme celle actuelle) et cela signifiera un grand échec en tant que société espagnole, européenne et africaine, et contraire à l'identité que les habitants de ce territoire ont toujours eu à travers l'histoire. L'isolement n'est pas une possibilité, même si une partie de la population le préfère, car tant que nous continuerons à vivre dos à notre continent, le reste des nations africaines continuera à nous considérer comme une anomalie.


Ceuta, 18 mai 2o21


dessins et textes © Carlos Pérez Marín

publié dans le numéro 8 de la revue Transfretana de l’Instituto de Estudios Ceutíes en septembre 2021